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Memoire CELSA-G.de Prittwitz

1 décembre 2008

FAI: une stratégie d'adhérence aux nouveaux usages médiatiques vers un devenir medium.

Vous trouverez ci-dessous le contenu de mon mémoire effectué dans le cadre de mon Master 2 Pro "Marketing et Management des Medias" au sein du CELSA.

Introduction                                                                                                                               4

I.      Un contexte socio-économique favorable à une évolution des usages et attentes des utilisateurs   8

A.     Sociologie des usages ou l’assimilation d’un nouveau medium   8

1.      Rappel sémiologique sur le multimédia et Internet 8

a)      Interactivité et multimédia  8

b)      Un faire-émissif plus actif 9

2.      Du déterminisme technologique et des usages  10

3.      De la quotidienneté et de son impact 12

4.      Des objets aux contenus  13

5.      Le paradigme diffusionniste  14

B.     Une consommation media en pleine restructuration  15

1.      D’une baisse de la consommation Tv vers une consommation convergente des média  15

2.      Une augmentation des contacts et de la participation  16

3.      La dimension politique du contournement médiatique  18

C.     Les communautés au centre du processus de réappropriation des media  21

1.      Formation et valeur des communautés  21

a)      Typologie des communautés  21

b)      Les motivations d’adhésion  24

2.      Le marketing face au défi communautaire  26

3.      L’inéluctable marketing de l’ethnique  27

D.     Vers une restructuration de la politique de l’offre ; logique de la longue traîne  29

II.     Transposition des nouveaux usages à travers l’offre éditoriale et marketing de l’IPTV dans une logique d’adhérence utilisateur   33

A.     Logique d’adhérence aux évolutions des utilisateurs  34

1.      Transposition du faire-réceptif multimédia sur l’IPTV   34

a)      De la télécommande…    34

b)      …à l’objet télévision  35

c)      Des films à domiciles  40

2.      Collecte de données et écoute: une perception précise et centrale  41

a)      La collecte de données  41

b)      Des utilisateurs dont l’avis fait foi 42

B.     Ecosystème de l’agrégation de chaînes et perspectives communautaires  43

1.      Composition du bouquet, consommation et valorisation du contenu  43

a)      L’exclusivité au centre du processus de valorisation  44

b)      Les chaînes thématiques, pivots de l’offre  46

2.      Les chaînes locales, ou l’avènement de la proximité  47

3.      Les chaînes étrangères, ou l’avènement de la micro segmentation communautaire  49

C.     De la séduction à la valeur; dichotomie stratégique des médias historiques et des FAI 51

1.      D’une stratégie de séduction à une stratégie de valeur 51

2.      Où comment les FAI ont diversifié l’adhérence client face à des medias amorphes  56

III.        FAI: Des stratégies d’extension de métier vers un « devenir medium » pérenne et les limites de la démédiation   59

A.     Le contenu au centre de la stratégie de valeur  60

1.      L'éditorialisation de contenus délinéarisé décloisonne les TC du rôle de simple distributeur de services éditorialisés  61

2.      La distribution de contenus dans une démarche d’interdépendance  63

3.      Une pression croissante à l'obtention de contenus de valeur 64

B.     Vers un devenir medium ultra-concurrentiel 66

1.      Des capacités et des règles déséquilibrées  66

2.      Orange, où l’extension de métier par excellence  66

3.      Création de chaîne ; paroxysme du devenir medium   69

4.      Des logiques de groupe vers une convergence des supports  70

C.     FAI: comment pérenniser l'implantation dans le secteur des media  73

1.      Vers une remontée dans la chaîne de valeur sur le TV linéaire et non linéaire. 73

2.      L’interactivité et la webisation des supports  74

3.      Après les réseaux, les terminaux ?  76

4.      Les éditeurs historiques : quelles parades ?  77

D.     La démédiation où les limites du « devenir medium »  79

1.      Périmètre de diffusion et acception médiatique  79

2.      Mise à disposition et médiation  81

3.      Vers une dilution du socle commun ?  83

·              conclusion                                                                                                               85

·              bIBLIOGRAPHIE                                                                                                           89

·              annexes                                                                                                                       91


Introduction

La démocratisation de l’outil Internet a sensiblement modifié l’émission et la réception des informations. La multiplicité des émissions et réceptions de flux a remanié en profondeur la place de chaque acteur du dispositif médiatique. Sa nature si singulière a entraîné la propagation d’une onde de choc dans le rapport entre émetteur et récepteur, jusqu’à permettre à tout individu de devenir créateur de contenus, parfois même repris sur des medias traditionnels. Des nouveaux termes ont pris une autre portée à mesure que les usages spécifiques à cette plateforme se développaient : réseau, communauté, espace personnel,…

Comment un support a-t-il pu laisser apparaître de si rapides développements ? Nous imaginons ici que cela a dû découler d’un certain nombre d’attentes que les media traditionnels n’ont pas su satisfaire.

Dans un contexte où la presse connaît une crise sans pareil, où la télévision perd des auditeurs pour la première fois depuis des décennies, où le nombre de médias, de flux, d’émetteurs et de récepteurs n’a jamais été aussi important, il convient de s’intéresser à Internet et plus particulièrement à ses usages.

La conditionnalité du déploiement énonciatif du web s’est progressivement opposée à la linéarité du flux autonome du media télévisuel, qui implique une forme de réception passive. Il en a découlé de nouveaux comportements médiatiques qui bouleversent en profondeur le rapport entre émetteur et récepteur. Si nous considérons Internet comme un nouveau média, c’est qu’il est une plateforme d’échanges d’information, qu’il est capable d’en émettre et d’en recevoir de façon instantanée ou non. En quoi ce nouveau media a-t-il modifié la perception de l’énoncé par les individus médiatiques ? De quels usages concrets cela a-t-il accouché ? De la diffusion de l’outil dans la société a émané une fragmentation des échanges communicationnels à travers une myriade de sites web, favorisant la naissance d’une nouvelle typologie économique, celle ciblant ostensiblement les micro-niches.

Ces modèles commerciaux se sont appuyés sur des usages qui s’ancraient graduellement au sein

de ce nouveau

media. Comment se sont matérialisés ces nouveaux modèles et comment ont-ils participé au mouvement de modification de la perception du « moi » dans l’énoncé ? Comment ces nouveaux usages nés du web ont favorisé l’appartenance à des communautés répondant à ces exigences ? En quoi cette tendance s’est-elle inscrite dans une forme de contournement vis-à-vis des médias historiques ? De quelle manière cela s’est-il traduit sur la consommation de télévision ?

Distribués par des opérateurs télécoms, les flux internet ont permis à de nouveaux acteurs d’intégrer le marché de l’émission de flux. Comment les fournisseurs d’accès à Internet ont-ils procédé pour intégrer progressivement le marché de l’éditorialisation ? Se sont-ils inspirés des usages développés sur le web pour introduire le marché de l’accès au contenu ? Dans le cadre de cette étude, nous pensons qu’effectivement, ces fournisseurs de flux ont su s’inspirer des évolutions des usages inspirés par le web. Le lancement d’une offre triple play, qui agrège accès à Internet, téléphonie et télévision a également participé à une modification des modes de consommation. Quelles sont les vecteurs de transposition des usages relatifs au web sur une offre de télévision par un FAI ? Quelles en sont les raisons et les effets ? Nous nous interrogerons sur la dimension stratégique de ces distributeurs de flux puisqu’ils ont progressivement investi des champs commerciaux et sociaux dont ils étaient originellement éloignés.

Hypothèses et Problématique

Nous imaginons un FAI aux prises avec la réalité des usages, tant dans le dispositif médiatique que le confort d’usage, la recentralisation d’un « moi » au sein de l’énoncé et la stratégie de valeur. Nos hypothèses veulent que cette faculté du FAI à s’extirper de son marché de base soit le corollaire d’une détention de moyens de diffusion qui va progressivement déstructurer la nature même du marché des médias. Cela nous laisse à penser que la capacité du FAI à répondre favorablement aux attentes énonciatives des usagers s’inscrit dans une stratégie globale d’extension de métier. Les FAI se sont inspirés des nouvelles typologies économiques que le web a fait naître pour faire converger un certain nombre d’axes de développement qui visent à remonter la chaîne identitaire d’un individu médiatique plus encore que les media traditionnels. Ces hypothèses et les questions qui les accompagnent nous conduisent à la problématique suivante :

« Alors que les éditeurs historiques peinent à répondre aux attentes énonciatives de l’utilisateur, les services audiovisuels des FAI optent pour des stratégies de valeur et des logiques de niches. Dans quelle mesure peut-on affirmer que cette stratégie d’adhérence aux nouveaux usages médiatiques correspond à une logique d’extension de métier et de concurrence des media historiques vers un « devenir medium”? »

Méthodologie

Cette problématique a pris forme dans le cadre d’un stage de fin d’étude au sein du service TV du FAI NeufCegetel. En charge du développement de l’offre à travers l’acquisition de chaînes locales et internationales, j’ai progressivement pris la mesure de la capacité d’un FAI à s’attacher à répondre à des attentes que la télévision traditionnelle peinait à satisfaire. La logique de profusion de chaînes m’a interpellé dans la mesure où elle s’apparentait à une volonté de toucher le maximum de segments de

la population. Je

consens une appétence pour les sujets relatifs à l’expression d’une personnalité ou d’une communauté au sein d’un dispositif de masse. Mon premier angle d’approche s’inspirait d’ailleurs largement des ressorts ethniques de l’offre TV. En se penchant sur ce sujet, j’ai réalisé au fur et à mesure que cette capacité à répondre aux attentes de segments de population était diffus dans l’ensemble de l’offre. C’est pourquoi j’ai approfondi le sujet en m’intéressant aux dispositifs médiatiques et aux besoins qui pouvaient en découler. Pour mener à bien cette recherche, une étude empirique au travers d’une expérience quotidienne avec les chiffres, les objectifs, les stratégies a nourri le développement des hypothèses.

Evidemment, s’attacher à comprendre pourquoi les communautés étaient choyées de cette façon par l’offre TV d’un FAI revenait à s’intéresser à leurs formations au sein des dispositifs médiatiques. Il a fallu cerner les raisons de tels mouvements. La baisse de la consommation de la télévision et la hausse des offres ethniques ne pouvaient être détachées d’un contexte global de mutation des pratiques médiatiques. Il était nécessaire de comprendre comment la perception énonciative des individus médiatiques relevait d’une volonté d’implication supplémentaire. La théorie de la Longue Traîne[1] de Chris Andersen a donc servie de pivot à ce travail de recherche puisqu’en tant que théorie économique basée sur des tendances médiatiques globales, elle a été un référent stratégique déterminant dans l’élaboration des hypothèses.

Couplée à une mise à disposition d’une multitude de services proches de ceux du web, la faveur donnée à une meilleure maîtrise de l’énoncé par l’utilisateur a donc nourri l’idée d’une corrélation entre usages du web et IPTV. Par le biais d’un contact quotidien avec les services visant à améliorer l’offre, la différence d’approche de l’utilisateur avec la télévision s’est ainsi matérialisée dans mon esprit. L’observation régulière des réunions stratégiques d’une division « contenus » d’un FAI établit progressivement une perception des enjeux du marché mais surtout une conception de la composition d’une offre. De cette posture de nouvel entrant se dégage un rapport à l’individu médiatique qui se différencie des discours propres aux éditeurs historiques. La capacité du FAI à se faire empathique a suscité l’envie d’approfondir cette nouvelle définition du rapport entré émetteur et récepteur. Cette notion d’empathie émane d’un autre élément pivot du corpus, Les Mystères de l’offre[2], d’Henri de Bodinat. L’auteur voit dans cette notion une prise en compte des attentes énonciatives des individus médiatiques. A la lecture de cet ouvrage, j’ai pu mettre en corrélation les capacités d’empathie de certaines entreprises citées par l’auteur et les FAI. Il est intéressant de noter que l’auteur ne classe pas ces derniers dans la caste des entreprises de « valeur » comme il les dénomme. Comme nous le verrons dans la suite

de ce

travail de recherche, une de mes hypothèses s’est fondée  sur la posture empathique des ces FAI, recoupant par un certain nombre de fondements des stratégies de » valeur ».

Du double postulat d’une perte d’influence du media traditionnel et d’une introduction graduelle du FAI dans l’éditorialisation de contenus s’est révélé l’érection d’une nouvelle typologie d’entrant sur le marché médiatique : le FAI. S’agissant d’un métier totalement nouveau pour ces distributeurs de flux et que cela les inscrit dans situation de concurrence partielle avec les éditeurs historiques, il s’agissait donc de s’interroger sur les motivations de ces « contenants » à investir ce marché.

Plan

Nous débuterons cette étude par une partie qui déterminera les éléments socio-économiques qui ont favorisé une évolution des usages médiatiques. Il s’agira tout d’abord d’approcher le sujet de façon théorique afin de comprendre comment des usages se répandent. À travers une étude sur le déterminisme technologique et le socio-constructivisme, nous prendrons la mesure du paradigme diffusionniste et de l’assimilation d’internet en tant que nouveau media. Par la suite, nous nous attacherons à montrer comment la consommation médiatique se restructure. Il sera question de consommation médiatique convergente et délinéarisée et de contournement médiatique. Cela permettra d’ouvrir sur la montée en puissance des communautés et des conséquences sur les rapports communicationnels et énonciatifs. La conclusion de cette première partie aura pour objet la modification de paramétrages économiques qu’Internet a permis. Nous montrerons comment ces stratégies collent à l’évolution des usages et élargit le périmètre des cibles aux micro-niches. Cette première partie aura donc permis de cerner les conséquences d’une assimilation d’un nouveau medium sur les usages et les comportements médiatiques et économiques.

La deuxième partie s’attachera à montrer comment les opérateurs télécoms ont su se servir de ces évolutions pour façonner une offre qui corresponde aux attentes du marché et comment les usages du web ont su être transposés à la télévision, faisant ainsi sortir cette dernière de son carcan énonciatif. Nous chercherons à déterminer comment cette adhérence aux nouveaux usages médiatiques relève en amont d’une stratégie d’écoute des clients et d’une capacité à se faire empathique. L’analyse de l’écosystème de l’agrégation de chaînes à travers la quête de l’exclusivité permettra de comprendre les ressorts concurrentiels. Il s’agira également de cerner la façon dont est façonnée l’offre en fonction des attentes des utilisateurs. Enfin, nous conclurons cette partie par une approche comparative des rapports communicationnels entre FAI et éditeur historique à travers leur typologie énonciative.

La troisième partie expliquera les tendances à éditorialiser à travers les prismes des stratégies d’entreprises dans un marché mouvant. Nous verrons combien la détention des réseaux s’avère déterminante. Il en découlera une approche des rapports entre media traditionnel et nouveaux éditeurs de contenus, oscillant entre concurrence et collaboration. Nous déterminerons par la suite les vecteurs stratégiques de pérennisation du FAI au sein du marché des média. Ce sera l’occasion de préconiser des orientations à adopter par les éditeurs historiques et les FAI. Nous essaierons d’estimer les risques et opportunités du marché pour conclure sur les limites de l’approche par les FAI du marché des media. Il s’agira de révéler les manquements et risques d’une partie de la transposition des usages nés du web sur la télévision.

La fin de cette partie révèlera ainsi les raisons de l’usage du terme « devenir medium ».


I.       Un contexte socio-économique favorable à une évolution des usages et attentes des utilisateurs

Le déroulement

de ce

chapitre s’attachera à éclairer comment la démocratisation du nouveau medium qu’est Internet a participé à la restructuration des rapports communicationnels. Tout d’abord, nous nous attarderons sur la sociologie des usages. Plus précisément, la façon dont l’outil Internet s’est répandu dans la quotidienneté des échanges et comment ses usages ont révélé une nouvelle forme d’échange. La deuxième partie permettra de se pencher sur la consommation des medias en France, où comment l’évolution des usages nés du web a influé sur le rapport entre les media historiques et les utilisateurs. Ensuite, la troisième partie aura pour propos la formation des communautés sur le web et comment elles illustrent une forme de décentration face à l’unilatéralité de l’énoncé discursif chez les medias historiques. La fin du chapitre se voudra plus tournée vers la nouvelle donne économique qu’induit le web et la façon dont elle répond aux attentes de chacun, à travers la logique de la longue traîne.

Ce chapitre permettra donc de prendre la mesure des évolutions des usages dans les rapports communicationnels initiées par l’arrivée massive du support Internet dans les foyers. Cela nous permettra de saisir comment cela impacte les modèles économiques et modifie l’ensemble de la chaîne de valeur des médias.

A.    Sociologie des usages et assimilation d’un nouveau medium

1.      Rappel sémiologique sur le multimédia et Internet

Interactivité et multimédia

L’accès aux services disponibles sur la toile par des fournisseurs d’accès Internet a permis d’élargir sensiblement les possibilités d’interaction entre utilisateurs. Le rapport communicationnel propre aux média historiques implique un contexte d’émission-réception quasi unilatéral. A contrario, le support Internet a pour corollaire les termes multimédia et interactivité.

Passive ou active, l’interactivité fait du multimédia un objet et une pratique distincts des autres objets médiatiques et de leur usage. Le Dictionnaire des Arts Mediatiques[3] la définit comme suit : « Propriété des médias, des programmes et des systèmes liés de façon plus ou moins constitutive à un ordinateur de pouvoir entretenir un dialogue plus ou moins poussé avec l'utilisateur. » Elle repose sur l’illustration suivante : « Les hypermédias (…) sont des entités (…) fondamentalement interactives, qui nécessitent constamment, pour procéder, les réponses des utilisateurs aux choix qu'ils leur offrent par les interfaces logicielles et matérielles qui leur sont propres. Ces réponses relèvent du processus de navigation des utilisateurs dans ces programmes et ces systèmes. »

Le terme « multimédia » a pris forme dans le langage commun à travers l’usage de l’ordinateur. Le Dictionnaire des Arts Médiatiques l’assimile comme étant un « environnement de communication et installation artistique dans lesquels plus d'une technologie est employée et où l'interactivité n'est pas essentielle ». L’outil informatique a permis l’utilisation de l’écrit, de l’image et du son. La forme la plus aboutie du multimédia interactif à ce jour est Internet, qui par ses attributs d’interaction interpersonnel, d’image, de son, et tout autre type de relation communicationnel permet à l’actant l’utilisation de plusieurs media. À ce titre, radiodiffusion et télévision ne rassemblent pas les mêmes attributs interactifs et multimédia que le support Internet.

Un faire-émissif plus actif

Selon Eleni Mitropoulou[4], « les textes médiatiques des typologies radiophonique et télévisuelle relèvent d’un faire-émissif autonome contrairement aux textes multimédia en ligne de typologie Internet qui relèvent d’un faire-émissif conditionnel ». L’auteur explique que

« l’autonomie du faire-émissif dans la typologie radiophonique et télévisuelle relève d’une relation avec le faire-réceptif qui doit son autonomie à la relation de présupposition réciproque qui lie flux et déploiement lors du faire-réceptif, qu’il soit passif (être là) ou actif (écouter/regarder). Le faire-émissif de

la typologie Internet

doit sa conditionnalité au principe que ses effets énonciatifs sont soumis à la condition technologique d’un faire-réceptif actif (cliquer) qui fait croire à une relation de présupposition réciproque, d’une part entre flux et déploiement, d’autre part entre flux, déploiement et savoir-faire. Selon cet angle, le multimédia est assimilé à l’espace discursif écranique. C’est en effet là que se passe sa mise en énonciation par la pratique interactive du faire-réceptif ».

Le terme multimédia est ici assimilé à un « médium intégré interactif » en ligne, qui résulte de la convergence de trois univers technologiques : les télécommunications, l’informatique et l’audiovisuel et « dont les spécificités morphologique et syntaxique reposent sur l’interactivité comme propriété des médias, des programmes et des systèmes liés de façon plus ou moins constitutive à un ordinateur de pouvoir entretenir un dialogue plus ou moins poussé avec l'utilisateur » comme le définit le Dictionnaire des arts médiatiques.

Eleni Mitropoulou met en relief le rôle indispensable de l’utilisateur dans le déploiement narratif : « l’interactivité en Internet est transformation du mode d’existence d’un texte par faire-réceptif en ligne. Le faire-réceptif en ligne est désigné comme actif en Internet. L’interactivité est donc, également, ce qui permet au multimédia d’acquérir la configuration des médias en ligne : le flux au sens radio-télévisuel. »

L’interactivité offre la possibilité au multimédia de combler l’écart entre faire-émissif conditionnel et faire-émissif autonome. « L’interactivité dote le faire-réceptif du pouvoir d’opérateur axiologique dans l’évaluation de l’échange, en prenant le statut d’assistant participant »[5]. Le déroulement énonciatif, en somme le cœur du medium ne bat pas de la même façon selon le flux. En effet, en Internet, le changement de mode d’existence sémiotique d’actualisation du stock en déploiement par le flux n’est possible que s’il y a « agir » de la part du récepteur. Mais, « une fois qu’il y a actualisation par le faire-réceptif, et donc disjonction qui déclenche le déploiement, le récepteur est en conjonction avec un état émissif qui subit des transformations autonomes, comme l’actualisation ou les irruptions publicitaires » selon l’auteur.

L’obligation de prévoir la prise en charge du faire-réceptif installe ce dernier comme indispensable pour la réalisation des programmes narratifs liés au déploiement et « le renforce dans son pouvoir d’opérateur axiologique ». « Cette place incontournable du faire-réceptif dans le flux fait du récepteur, par projection, le protagoniste du déploiement ». Ce constat du déploiement par le faire-réceptif illustre la portée de l’évolution des technologies au cours des quinze dernières années mais aussi la façon dont l’utilisateur a été repositionné au centre de l’énoncé à travers l’utilisation d’un support multimédia.

La lecture des analyses de Mitropoulou sur les déploiements de flux illustre combien les rapports communicationnels divergent selon le medium. Ceci est un bon indicateur de la place laissée à l’utilisateur dans l’énoncé, ce que nous démontrerons de diverses façons par la suite.

2.      Du déterminisme technologique et des usages

L’assimilation de la jonction par interactivité comme expliqué plus haut, à travers l’institutionnalisation du media Internet a révélé des évolutions dans les habitudes de consommation. Le paradigme technologique attribué à Marshall Macluhan prend ici toute sa dimension. Macluhan prophétisa l’avènement d’un réseau planétaire issu des nouvelles technologies de la communication électronique formant un immense « village global » qui s’est concrétisé avec le développement de la micro-informatique, de l’Internet et du multimédia. Macluhan parle alors de la « simulation technologique de la conscience »[6]. Michel Fillon[7] reprend l’auteur canadien et analyse le medium Internet comme une refonte de l’espace-temps communicationnel : « Le canal devient plus important que le contenu, le médium devient le message. L’abolition de l’espace et du temps amène une nouvelle échelle des perceptions humaines et entraîne la résurgence de l’homme « tribal » à l’ère électronique et mondiale. Nous pensons comme nous communiquons ».

Pierre Lévy s’est attaché à l’étude des potentialités des nouvelles technologiques, notamment sur le plan cognitif, pour faire valoir une forme de déterminisme technologique. L’auteur aborde la technique selon ses incidences sur les structures mentales et les modes de pensées : « le cyberespace manifeste des propriétés neuves, qui en font un instrument de coordination non hiérarchique, de mise en synergie rapide des intelligences, d’échange de connaissances et de navigation dans les savoirs »[8]. Le paradigme technologique est ici pondéré par la nécessité d’une jonction entre outil et utilisateur :

« l’hypertexte ou le multimédia interactif se prêtent particulièrement aux usages éducatifs. […] Plus activement une personne participe à l’acquisition d’un savoir, mieux elle intègre et retient ce qu’elle a appris. Or, le multimédia interactif, grâce à sa dimension réticulaire et non linéaire, favorise une attitude exploratoire, voire ludique, face au matériau à assimiler. C’est donc un instrument bien adapté à une pédagogie active».[9] 

Pierre Lévy considère les potentialités de mutation anthropologique inspirée par le cyberespace : « l’intelligence collective est basée sur le partage des savoirs : ces technologies intellectuelles […] peuvent être partagées entre un grand nombre d’individus et accroissent donc le potentiel d’intelligence collective des groupes humains »[10].

Il en est pour qui l’avènement du multisignal Internet relève plus du déterminisme sociologique que du déterminisme technologique, parmi lesquels les socio-constructivistes. Le déterminisme technologique strict semble déséquilibré, parce que cela impliquerait une prédictabilité du comportement humain à l'intérieur de contraintes technologiques. Selon Florence Millerand, la tendance des années 80-90 veut que « les chercheurs vont s'attacher à l'étude du sens que chaque micro-acteur social entend donner à sa vie et les comportements de refus, de détournements ou de contournements d'usages imposés vont être questionnés.[11] »

Le propos n’est pas ici de statuer qui de la technologie ou de l’Homme a enclenché la modification des comportements. Il demeure que la démocratisation (évolution du taux de pénétration en France) d’Internet coïncide avec l’augmentation de nombre de media mis à disposition du faire-réceptif. En effet, « en devenant plus nombreux et plus divers, en élargissant l’offre, les supports ont agi sur la demande, tandis que la culture de masse, que les médias contribuaient à développer, a fait naître de nouvelles attentes.»[12]

La technologie joue de toute évidence un rôle central dans l’évolution de la pratique communicationnelle. Cependant, comme nous le verrons plus tard, la façon dont Internet a proposé de nouvelles perspectives s’est accompagnée d’un élan des actants révolutionnaire dans les pratiques médiatiques. Cette analyse est corroborée par un certain nombre de recherches scientifiques récentes qui semblent faire fi des positions symétriques réductrices du déterminisme social et du déterminisme technologique. « La démarche de la psychologie cognitive a consisté à prendre au sérieux cette analyse, et à formuler à titre d'hypothèse l'idée qu'une très grande partie des représentations humaines, et des connaissances correspondantes, est inscrite, coulée dans le moule propositionnel »[13] affirme Jean-Pierre Meunier. « Formuler cette hypothèse, c'est supposer que les représentations humaines sont organisées, pour l'essentiel, comme l'est le langage. »

Portées par Piaget, l’interactionnisme social et le constructivisme, en opposition à l’innéisme, sont les théories qui présupposent une assimilation par l’action: "On ne connaît un objet qu’en agissant sur lui et en le transformant."[14]. Il insiste sur la dimension disjonctive de l’acquisition : « l'acquisition d'une information se traduit par une "perturbation" qui va entraîner chez l'individu un "déséquilibre" du champ cognitif et exiger un travail de synthèse pour assimiler, intégrer, critiquer, admettre, ajouter cette nouvelle dans un champ cognitif alors enrichi."[15] Selon Meunier, « la conception piagétienne présente l'activité cognitive comme une activité intra-individuelle issue de l'intériorisation de la relation interindividuelle ».[16]

Le psychologue russe Vygotsky a quant à lui insisté davantage encore sur le rôle du social dans le cognitif : "[...] toutes les fonctions mentales supérieures sont des relations sociales intériorisées […] leur organisation, leur structure génétique et leurs moyens d'action – en un mot, leur nature entière est sociale. Même les processus mentaux (internes, individuels) conservent une nature quasi sociale. Dans leur propre sphère privée, les êtres humains conservent les fonctions de l'interaction sociale”[17]. L’analyse de Vygotsky sur le rôle de l’organisation sociale dans le cognitif valorise ainsi la thèse d’une acception globale d’Internet comme nouveau medium, validée par les structures inter et intra personnelles.

Cette acception d’un nouveau medium renvoie à une analyse pragmatique

de ce

mouvement de masse : celle de l’usage quotidien, terreau de la diffusion du medium Internet dans l’ensemble de la société.

3.      De la quotidienneté et de son impact

Depuis la démocratisation de la radio, puis de la télévision, les pratiques médiatiques se sont étendues à l’ensemble de la population française. Les usages des outils de communication se sont inscrits avec le temps dans la quotidienneté et en sont devenus des pivots de la vie en société. Vivre sans pratique médiatique relève aujourd’hui de comportements ‘antisociaux’ ou de contournement volontaire. Antonio Gramsci avait en son temps parlé d’une « hégémonie culturelle », portée sur la diffusion d’une culture de masse. Les media en sont une composante déterminante et font preuve chaque jour de leur influence sur la vie en société. La prégnance du medium dans la société se fait sentir dans sa capacité à se rendre utile et accessible. Les pratiques médiatiques et les usages des outils de communication sont indissociables des activités quotidiennes; elles font partie intégrante de "la vie ordinaire".

Chambat voit dans le quotidien le vecteur d’une diffusion des usages, « les pratiques de communication, à la différence des pratiques de loisirs souvent perçues comme résiduelles ou compensatrices par rapport au travail aliénant, apparaissent centrales, car les TIC se diffusent dans l'ensemble des activités quotidiennes. »[18]. Josiane Jouët insiste sur « les pratiques associées aux technologies de communication » qui « viennent renforcer la sphère domestique comme centre de loisirs et d'information ».[19] 

En effet, les possibilités d'obtention d'information à partir du foyer, de réalisation d'opérations de gestion bancaire, d'achat…« confortent le rôle croissant pris par le domicile dans l'évolution des modes de vie »(ibid). Cette évolution de la place du medium dans le quotidien de l’usager, permet de mettre en exergue le rôle primordial du « quotidien comme véritable « terreau » de formation des usages »[20]. Le quotidien est ainsi indispensable dans l’appropriation et l’assimilation des usages et des technologies, qu’il soit appréhendé dans le contexte spatial, temporel ou encore social.

A l’analyse de la quotidienneté des usages, il convient de considérer que la combinaison des usages professionnels et domestiques a pleinement participé à l’acception du medium Internet dans la société de communication.

4.      Des objets aux contenus

Prendre la mesure de l’impact des technologies de communication en tant qu'objets techniques pose également le problème de leur nature, directement liée à leur contenu. Les outils évoqués étendent la liste de leurs capacités pour tendre de plus en plus vers des terminaux « multimédia », « branchés sur des réseaux et qui délivrent des services » [21]. On peut légitimement mettre en parallèle le développement des objets technologiques et l’augmentation de la part des services dans les économies occidentales. Chambat interroge sur une éventuelle remise en cause des analyses centrées sur les objets, au bénéfice d'analyses centrées sur les services, qui aboutiraient à « disqualifier les approches en terme d'équipement, de consommation et de demande au profit de réflexions centrées sur les services, la commutation et le lien social » (ibid).

À travers les services que les technologies délivrent, l’analyse sur la nature des outils « renouvelle le problème de la prescription des usages dans la mesure où on distingue l'offre technique (les objets) de l'offre de services (les contenus) ; et également dans la mesure où les services deviennent plus importants que l'équipement lui-même »(ibid). L'exemple de l'ordinateur branché sur l'Internet reflète le rééquilibrage des forces, et montre bien comment un même objet peut servir une visée instrumentale, ludique ou encore sociale. Remettre en question la primauté du canal sur le contenu revient à aller à l’encontre des théories de Macluhan, mais par la nuance apportée aux écoles du déterminisme technologique et du déterminisme sociologique, il semblerait que l’avènement du multimédia Internet relève plus d’une conjugaison de forces convergentes que d’une unilatéralité dogmatique qui minorerait largement le rôle de l’usager ou de l’outil.

5.      Le paradigme diffusionniste

L'approche de la diffusion est née de la théorie de la diffusion des innovations d’Everett M. Rogers. Ses travaux s'inscrivent dans une longue tradition anthropologique connue sous le nom de "diffusionnisme", dont le principal instigateur est un anthropologue, Kroeber (1923) qui s'est intéressé à la pénétration des innovations techniques dans le tissu culturel.

Le modèle diffusionniste[22] perçoit l’adoption comme un processus caractérisé par plusieurs phases, depuis la première exposition de l'usager à l'innovation, jusqu'à la confirmation ou le rejet de l'adoption. Selon Rogers, ce sont les caractéristiques de l'innovation telles qu'elles sont perçues par les individus, qui déterminent son taux d'adoption. Une innovation est caractérisée par cinq attributs : son avantage relatif, sa compatibilité avec les valeurs du groupe d'appartenance, sa complexité, la possibilité de la tester, et sa visibilité. Les usagers sont classés selon cinq profils types : les innovateurs, les premiers utilisateurs, la première majorité, la seconde majorité et les retardataires.

Rogers établit sa théorie sur un ensemble de typologies dans le but de suivre l'évolution du taux d'adoption (qui décrit une courbe en S), considéré comme la variable descriptive essentielle de

la diffusion. Les

typologies des adoptants permettent selon Rogers de les classer en plusieurs catégories selon le processus de diffusion dans le temps : le profil des adoptants passerait d'un groupe restreint et marginal à un groupe plus large d'adoptants, puis à un bassin de plus en plus représentatif de la population en général. La finalité de ces études met en relief la nature prescriptive dans le processus d’adoption des innovations. Les facteurs déterminants dans la décision d’adoption sont ainsi de l’ordre de l’inter-personnalité. Le modèle diffusionniste « a permis de décrire tout le réseau social de circulation d'une innovation au sein d'une société »[23], avec lequel la formation et les usages des communautés forment des parallèles explicites quant aux usages et attentes du web.

Comme l'explique Georges Vignaux "la médiation se place à la frontière du symbolique et d'une sphère de l'expérience. La technique n'explique pas les contenus sans les usagers, les usagers n'ont pas la même pratique technologique selon les contenus qui les motivent, les contenus n'ont pas la même charge symbolique selon le dispositif". Et il précise "le média est donc identifié comme lieu et format du lien entre un acteur et un contenu. »[24]

Le diffusionnisme de l’outil Internet dans la société de consommation médiatique, articulée autour d’un déterminisme sociologique et/ou technologique a pleinement participé à l’acception de cet outil en tant que medium. Nous verrons dans la deuxième partie comment cela s’est traduit dans la consommation de media.

B.    Une consommation media en pleine restructuration

1.      D’une baisse de

la consommation Tv

vers une consommation convergente des média

En 2008, la France compte 18 millions d’abonnés à Internet dont 16,7 millions en haut débit, ce qui correspond à 61% des ménages nationaux[25].

La télévision est depuis plusieurs décennies un catalyseur de la consommation médiatique. Neuf français sur dix sont en contact avec la télévision au moins une fois par jour.[26]Les dernières mesures audimétriques de Médiamétrie constatent une baisse exceptionnelle de la durée d’écoute de la télévision par les français, toutes chaînes confondues. Elle est passée à 3 h 27 au premier semestre, contre 3 h 32 sur la même période en 2007[27]. Cette baisse pourrait être corrélée de prime abord à une baisse de l’intensité de l’actualité, cependant, on observe que l’été 2006, pendant lequel l’élection présidentielle occupait largement l’espace médiatique présente des statistiques de durée d’écoute similaires à l’été 2007, dont la teneur en grands évènements médiatiques de masse fut moindre.

«Que l'on cumule toutes les chaînes sur cette période ou que l'on ne s'intéresse qu'aux grandes chaînes hertziennes, comme TF1 ou M6, la durée d'écoute de la télévision baisse de 2 à 9 % sur toutes les cibles», note Isabelle Vignon-Rambaud, directrice des études chez Aegis Media Expert (ibid). Si Médiamétrie ne peut encore produire de chiffres définitifs, les experts affirment que c'est chez les détenteurs de Box ADSL soit près de 14 % des foyers français aujourd'hui que se dessinerait la plus forte baisse de la durée d'écoute de la télévision classique (ibid). Or ce sont en partie ces équipements qui permettent notamment de consommer sur Internet les programmes à la carte et de se dégager de la linéarité du flux. Les équipés en box triple play présentent des profils de sur-consommateurs de media, dans le sens où ils sont capables de consommer plusieurs media dans le même espace-temps.

Autrement appelée consommation convergente, cette tendance connaît une progression de près de 10% sur un an, d’après IPSOS. « Même si la radio est toujours le premier média consommé de façon convergente, le développement de l’offre et la mise en place par la majorité des groupes audiovisuels du service de rattrapage « catch-up TV » a eu pour effet d’augmenter le nombre de convergents Télévision de 19,4% comparé à mars 2007, soit 1,9 millions de personnes. » selon Jean-Charles Grout d’IPSOS[28]. Premier support pluri-média, l’ordinateur : plus de 7 personnes sur 10 (72%) en possèdent un au sein de leur foyer, et plus de 6 sur 10 (61,8%) sont connectés à Internet chez elles, principalement en haut débit (92,3%). La consommation de vidéos issues de sites généralistes ou spécialisées dans le partage de vidéo illustre la portée du phénomène vidéo sur le web 2.0, avec une progression de plus de 43%. La communauté des convergents vidéo représente désormais 14,2 millions d’individus, soit un internaute sur deux (ibid). Parmi les nombreuses possibilités qu’apporte l’offre de convergence, la première citée par les internautes est le fait de pouvoir « choisir le moment de fréquentation des différents medias » (78%). Cette opinion est confirmée par l’augmentation de la consommation des contenus radios et TV en différé (en streaming[29] ou après podcast[30])(ibid).

« Il n’y a plus de complicité réelle entre l’émetteur et le récepteur. Le consommateur se nourrit de miettes éparses et l’émiettement du pouvoir médiatique est, à ses yeux, gage de liberté. Comme si la recherche d’objectivité et de recul avait en réalité aboutie à installer, entre le consommateur et ses médias, une distance de plus en plus grande et irrémédiable. Une distance qui pousse de plus en plus de personnes à multiplier les sources d’information. (...) Le lien entre l’émetteur et le récepteur d’actualité se joue de plus en plus sur le registre de la méfiance ou de l’ignorance. »[31] 

Denis Muzet illustre à travers ces propos les conséquences des usages nés avec le web dans la consommation de media. Cela démontre combien le rôle conditionnel dans le déploiement du flux par le faire-réceptif est un élément incontournable dans la consommation de média d’aujourd’hui. Cela laisse perplexe sur la capacité des éditeurs historiques à avoir su s’adapter aux velléités implicatives de l’utilisateur dans l’énoncé. Le web et sa conditionnalité dans le déploiement du dispositif a permis une recentralisation de l’utilisateur dans l’énoncé, qui y voit une source plus grande d’indépendance. Cette défiance vis-à de la linéarité discursive est paradoxale puisque il convient d’admettre que les contacts entre média et utilisateurs croissent.

2.      Une augmentation des contacts et de la participation

La propension à consommer moins de télévision est notamment palpable chez les jeunes. Selon Médiamétrie, les 15-24 ans ont regardé la télévision sept minutes de moins en moyenne par jour en 2006. La consommation s’établit à 1h58 par jour sur cette cible, pour 217 minutes chez les adultes. Cette génération, née avec l’ordinateur domestique, maîtrisant les outils liés à l’utilisation de plusieurs media est celle dont les contacts avec les media sont les plus nombreux. 30 % des 15-24 ans consomment même jusqu'à cinq médias sur une journée[32]. Notons que les personnes qui vivent en France sont de plus en plus nombreux à être en contact avec les media et les loisirs numériques, on recense par ailleurs en moyenne 41 contacts avec une activité media par jour. Globalement, la part des loisirs numériques (téléphone mobile, musique, jeux-vidéo, vidéo) dans les activités médias des Français est passée de 11,5% en 2006 à 14,7% en 2008. Internet représente 9,1% des contacts médias des Français (7,9% en 2006). Les médias traditionnels (télévision, radio et presse) restent majoritaires avec 76,2%.[33]

Denis Muzet estime que cette évolution dans la consommation relève d’une mutation de l’individu dans sa perception médiatique: « sans s’en rendre compte, l’individu a muté. Il est devenu “mediatico-sensible”. »[34] Cette augmentation de l’activité peut être justifiée par une tendance à la participation des utilisateurs. La part croissante que prend Internet dans les contacts media est à mettre en parallèle avec la part des utilisateurs contributeurs sur le net. Le contact media qu’est Internet permet de passer d’un statut de faire-réceptif passif, comparable au rapport communicationnel relatif au medium traditionnel à un statut de faire-réceptif actif indispensable au déploiement du flux ; qui, de plus conditionne le rôle du faire-émissif et participe à sa graduation dans la valeur d’Internet en tant que medium.

La différence entre le web 1.0 et le web 2.0 se situe principalement dans la transformation de la relation de présupposition réciproque flux et déploiement vers flux, déploiement et savoir-faire. Ainsi, cette stature de l’actant récepteur devenu acteur est confirmé par des chiffres éloquents : en effet, 83% des internautes assidus sont des contributeurs, soit 14,8 millions d’internautes qui utilisent toutes les possibilités du Web pour s’exprimer et participer en ligne. 3,1 millions des internautes assidus seraient même devenus des « créateurs » de contenus multimédias (création de son propre blog, diffusion de ses propres contenus vidéo ou audio).[35] La moitié des internautes de 15/19 ans ont créé leur blog. (ibid)

Lionel Barbe voit dans la participation de l’utilisateur à la création de valeur éditoriale une restructuration des rapports communicationnels : « les sites participatifs, ceux-là même qui drainent la majorité des contributions préfigurent une nouvelle forme éditoriale, non plus centralisée autour d’un modèle pyramidal mais fonctionnant sur un modèle réticulaire, où chaque individu est à la fois consommateur et producteur du média. » [36]

L’étiolement progressif de la verticalité de l’information ne saurait être délié d’un contexte global relatif à la sociologie des groupes. Les tendances aux prescriptions citoyennes et regroupements par affinités convergent vers une intégration à une communauté auquel s’apparente l’utilisateur. Mais, comme nous allons le voir par la suite, ces démarches peuvent également relever d’une dimension politique de contournement médiatique.

3.      La dimension politique du contournement médiatique

L’histoire de l’information s’est accompagnée d’une volonté croissante du peuple d’exprimer ses avis à mesure que les technologies d’usage s’ouvraient à lui. Du 18ème au milieu du 20è siècle, la presse est notablement investie du devoir d’opinion. La construction d’un espace public est au centre des velléités journalistiques puisque débats et avis contradictoires occupent les pages du journal d’opinion. Cette nouvelle façon d’aborder la politique place les média comme un prolongement de l’opinion publique. En réalité, celle-ci émane d’une certaine élite intellectuelle et politique qui croit s’approprier la pensée d’un peuple auquel on ne donne pas

la parole. Cette

presse voit arriver la concurrence d’une presse moins engagée, qui base son traitement de l’information non pas sur une prise de position mais sur une mise en page de faits rapportés, expliqués, analysés. L’épaississement de la concurrence contrecarre les velléités de mise en texte d’une agora rêvée au profit d’une logique marchande dont le but est de plaire au plus grand nombre. D’aucuns voient dans cette récession de la place du débat la conséquence logique d’une société où les avis sont moins tranchés en cette période post deuxième guerre mondiale.

L’émergence de dispositifs audiovisuels n’est pas étrangère à la crise de la presse d’opinion. L’aplanissement des opinions résulte d’une volonté plus grande encore de toucher l’ensemble de

la population. Nonobstant

le fait que les chaînes de télévisions sont sous le contrôle de l’Etat, les prises de postions politiques sont réservées à ceux dont on accepte encore la subjectivité : les experts et les intellectuels qui prennent place dans des débats dont ils sont le centre et à qui on délègue le devoir de les alimenter avec des avis contradictoires.

Les travaux de Lazarsfeld et Katz ont mis en exergue la faculté du récepteur à filtrer l’information et à la réinsérer dans son cadre idéologique afin de construire une opinion individuelle et par prolongement une opinion collective[37]. Cette démarche intellectuelle ne prend forme qu’à travers l’existence d’un lien de confiance entre le faire-émissif et le faire-réceptif. La presse d’opinion était caractérisée par ces deux éléments d’appropriation et de confiance. Seulement, cette presse a décliné tant en influence qu’en popularité au profit de nouveaux supports médiatiques dont les ressorts communicationnels semblent plus équilibrés. Théorisant sur la différenciation des émissions énonciatives selon le medium, Régis Debray a insisté sur la capacité ou pas d’un medium à adapter son discours à son support, énonçant que « le support est ce qui se voit le moins et qui compte le plus ».[38] Marshall Macluhan a marqué le monde de la communication avec cette sentence: « Le canal est le message »[39]. La spécificité des usages de chaque canal est bien réelle et implique des différences de traitement de l’information.

Par sa nature, l’image conglomère des éléments cognitifs multiples pour lesquels l’assimilation est instantanée et peut être partagée dans le prolongement émotif. La télévision au fil de son histoire a englobé l’image dans une mise en spectacle favorisée par le direct ou par le montage, qui implique par essence un choix. Ce choix n’est pas toujours celui de la mesure ou de la nuance, les effets cognitifs sont tels que les acteurs décisionnaires des chaînes de télévision optent pour un énoncé impactant. Cette mise en scène télévisuelle de l'information ne favorise guère le débat d'idées. L’échange d’idées a été réduit au fur et à mesure à une mini mise en scène dans le sens où le spectaculaire a pris le dessus sur la variété des avis.

"Il est évident que tous les locuteurs ne sont pas égaux sur le plateau, des professionnels de la parole et du plateau, et en face des amateurs, c'est d'une inégalité extraordinaire. […] La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d'une partie très importante de la population."[40] Bourdieu dénonce en quelque sorte la théâtralisation des échanges et des débats. Il insiste sur les codes du plateau, où comment un citoyen lambda ne saurait exposer ses idées. Les enjeux démocratiques sont fondus dans une masse d’informations parasites et dans des arguments simplificateurs dont les tendances sont exagérément manichéennes ou passablement uniformes.

Les contraintes énonciatives de la télévision empêchent la mise en forme d’argumentations progressives et structurées. Sa nature est fondée sur la parole et l’écrit et la dimension passive du faire-réceptif oblige l’énoncé linéaire à tenir impliqué le téléspectateur pour qu’il n’y ait disjonction dans

la narration. Même

si la presse confine tout autant l’actant à un rôle de faire-réceptif passif devant le discours énonciatif, il nécessite de sa part plus d’implication intellectuelle. Il est indéniable que la télévision et sa mécanique communicationnelle participent à la formation d’une culture de masse car ses principes narratifs sont aisément assimilables et connus de tous.

La France connaît depuis vingt ans un essor du niveau d’éducation moyen de ses habitants. Cela n’est pas sans effet car il s’accompagne en théorie d’un développement du sens critique. Le dialogue communicationnel s’en trouve changé dans le sens où le faire-réceptif passif se voudrait plus actif. Cette tranche de la population se replie vers d’autres espaces d’échanges, dans des journaux d’analyse clairement engagés, dans des associations et surtout sur les fora de discussion sur Internet. La communication multimédiatique dilue le monopole du savoir inhérent aux media traditionnels dans une multiplicité des émissions énonciatives. L’élaboration du savoir via la multipolarité des échanges remplace dans le cadre de ces fora participatifs l’émission autonome de l’information. La prise en compte des opinions de chacun dans l’élaboration du débat, qu’elle soit illusoire ou pas rompt avec la passivité auquel les media ont majoritairement restreint leur audience.

Denis Muzet illustre cette tendance en appuyant sur le fait que « le lien entre l’émetteur et le récepteur d’actualité se joue de plus en plus sur le registre de la méfiance ou de l’ignorance. »[41] découle aussi d’un sens. Cette critique accrue du traitement médiatique a pour corollaire la mutation du faire-réceptif vers un faire-réceptif-émissif. Plusieurs paramètres participent à cette défiance.

Le premier est la collusion progressive des média et des industriels, de façon logique puisque ces derniers prennent la direction de grands quotidiens, de radios ou de chaînes de télévision. Ces propriétaires au cœur de métier originel parfois très éloigné du monde des media sont des entreprises dont les marchés sont régis par l’Etat à travers des appels d’offre publics. Certains voient dans ces investissements un rapprochement des industriels avec les politiques. Certes, la presse d’opinion n’a plus le même poids que dans le passé, cependant, la transparence de certains propriétaires quant à leur préférence politique laisse à certains un goût amer à ceux qui prônent l’indépendance de

la presse. Denis Muzet

élargit le champ des acteurs concernés par une déperdition d’influence et d’impact sur les opinions:

« Le mouvement qui s’opère (...) touche l’ensemble des élites et, d’une manière générale, les groupes sociaux qui, dans notre pays, détiennent un pouvoir fondé sur un savoir. Un lent discrédit ronge les corps institués, ceux dont la connaissance suffisait jusqu’alors à fonder l’autorité et

la légitimité. Il

affecte et met en cause non seulement les hommes politiques ou les patrons, mais aujourd’hui pêle-mêle experts, scientifiques, professeurs, corps médical, autorités judiciaires, religieuses, et même, dans le domaine de la consommation, les marques. »[42]

Le second paramètre est évoqué plus haut dans la typologie du consommateur de medium interactif. Le web permet à chacun de d’exprimer, de mettre en scène sa vie. Cette forme d’extimité conduit également à donner le sentiment que tout comme dans la vie réelle, chacun peut exprimer son opinion sur n’importe quel sujet qui l’intéresse. La multiplicité des erreurs de traitement médiatique, tantôt dues à une trop forte réactivité, tantôt dues à une manipulation de l’information a réduit graduellement la confiance du citoyen dans le journalisme. L’individu multimédiatique s’enquiert d’avis qui convergent vers son opinion puisque la quantité d’espaces informatifs le lui permet.

Denis Muzet voit dans les blogs une forme d’institutionnalisation médiatique divergente, dont l’épaisseur et la légitimité informative est considérablement dépendante de son public:” les blogs sont crédibles parce qu’ils n’émanent pas d’une institution, mais qu’ils établissent un lien direct, sans intermédiaire, entre des individus en quête d’information et d’autres qui y affirment un point de vue, le leur, auquel on peut répondre et qu’on peut éventuellement contredire. »(ibid)

Le débat que la télévision mimait a laissé place à des espaces de dialogue bien plus impliquants et participatifs. L’accès à l’échange communicationnel peut répondre à un besoin de valorisation. D’après Jean Pierre Meunier et Daniel Peraya,

« la notion de décentration — à laquelle il faut adjoindre son contraire, la centration — concerne l'ensemble des rapports sociaux dans la mesure où ceux-ci contiennent toujours de la représentation mentale — d'autrui ou du monde partagé. Dans ce contexte, ce qui retiendra surtout l'attention ici, c'est que cette notion psychologique et même socio-psychologique s'articule étroitement avec la sémiopragmatique[43]. Celle-ci a montré que toute communication – orale, écrite, audiovisuelle – relève d'un dispositif d'énonciation mettant en place un ou plusieurs énonciateur(s) s'adressant à un ou plusieurs destinataire(s) au moyen de divers actes de discours de forces variables. Il en découle un système relationnel qui détermine largement les opérations de décentration possibles pour les destinataires.[44]»

Appliquée à la notion de contournement médiatique, la centration et décentration de l’échange communicationnel se rapporte à la dichotomie énonciative entre supports médiatiques historiques et Internet.

La concomitance entre le déploiement conditionnel du flux et son enrichissement par l’utilisateur nourrit l’idée d’un medium plus enclin à

la décentration. Cette

dernière est corroborée par le fait que le floutage du rapport entre faire-émissif et faire-réceptif correspond à un élargissement de l’émission de flux à tous, notamment aux communautés. Leur activité médiatique en tant qu’émetteurs et récepteurs a marqué une rupture dans l’émission d’un flux destiné à tous. La mise en scène énonciative d’un flux en circuit fermé a suspendu l’idée d’une centration politique et sociale du discours énonciatif.

C.    Les communautés au centre du processus de réappropriation des media

1.      Formation et valeur des communautés

a)       Typologie des communautés

La communitas, c'est le partage d'une ressource le "munus". Roberto Esposito[45] a montré que ce "munus" relève de l'économie du don, un donum (don) qui crée un officium (devoir) particulier, le devoir donner. Esposito définit la communauté comme « l’ensemble des personnes unies non pas par une propriété, mais exactement par un devoir ou une dette ». Il prend le parti d’une communauté où le devoir prend le pas sur le don : « La communauté ne s’appartient pas elle-même, l’être en commun qui la constitue l’extériorise en la rappelant au principe de la dette qui la fonde précisément sur l’exercice d’un devoir, sur la nécessité de remplir un vide inextinguible. » La logique vitale d’une communauté est qu’on ne peut pas ne pas donner. Même si le mot a glissé vers une acception positive (un supra individu né de l'addition des sujets et d'une mise en commun), le sens de communauté relève encore du sacrificiel. Le terme "Communauté" corrobore l’idée qu’il s’agit de créer des regroupements qui reposent sur un « devoir donner », que ce soit, du temps, du sens, du document, de l’information que le collaborateur, « l’autre » membre de la communauté saura juger. Esposito analyse la communauté comme la mise en exergue de « notre altérité constitutive».

Cette « obligation de rendre », participe à la formation d’un paradoxe avec le terme de collaboration. On retrouve chez Marx cette notion de coopération. L’auteur de Le Capital[46] considère la coopération comme une valorisation commune des valeurs unitaires : « il s'agit non seulement d'augmenter les forces productives individuelles mais de créer par le moyen de la coopération une force nouvelle ne fonctionnant que comme force collective ». Il ajoute que « le seul contact social produit une émulation et une excitation des esprits animaux qui élèvent la capacité individuelle d'exécution,[…] cela vient

de ce

que l'homme est par nature, sinon un animal politique, suivant l'opinion d'Aristote, mais dans tous les cas un animal social ». Chez Marx, la coopération n'est pas consentie. Sa notion de la communauté englobe la notion d’élévation, ce qu’il faut rapprocher de la dimension de contournement qui émane de la formation de communauté sur des supports non médiés.

En couplant les visions d’Esposito sur la communauté et celles de Marx sur la coopération, on pourrait arbitrairement en déduire que la communauté, c'est une forme sociale artificielle qui favorise une économie du don.

Dans le cadre de l’étude sur les communautés présentes sur Internet et de leur poids croissant dans l’actualisation des usages médiatiques, on complétera la définition précédente par « c'est une forme sociale artificielle médiée par des techniques qui favorise une économie du don ». L’occasion de rappeler l’importance du déterminisme technologique cher à Macluhan à cette question que l’on aurait tendance, voir plus haut, à traiter sous la seule lumière de

la sociologie. On

pourrait ainsi conclure que le mot communauté est très pertinent pour une économie de l'échange de biens symboliques (codes, données, contenus). La souplesse structurelle d’Internet a permis la création d’une myriade de sites de toute taille centrés sur des thèmes particuliers.

La dimension de contournement médiatique, la nécessité d’accession à une forme de décentration du rapport communicationnel et la faculté du récepteur à réinsérer l’information dans son cadre idéologique ont participé à la formation des communautés sur Internet.

Une communauté virtuelle, centrée sur un intérêt commun, fonctionne selon des principes établis. Chaque communauté à ses propres règles, mais on recoupe un certain nombre de dispositions communes à l’ensemble des sites. Il est intéressant de noter, que la communauté du don, proclamée égalitaire et libertaire, recense une hiérarchisation des intervenants. Selon la fréquence des collaborations, chacun des utilisateurs est classé par ordre d’importance au sein de

la communauté. Le

niveau le plus élevé dans la graduation de la valeur collaborative, par ailleurs uniquement mesuré de façon quantitative est assimilé à celui de super utilisateur. Cette typologie d’internautes, souvent chargée de l’auto régulation de la communauté, a des pouvoirs et un degré d’implication qui dépassent amplement ceux des simples participants. Il est envisageable que cet engagement répond souvent à une dynamique de reconnaissance communautaire, au-delà d’un comportement altruiste.

Certains spécialistes de la sociologie des groupes ont tenu à valoriser les réseaux. La loi de Metcalfe[47] veut que la valeur d’un réseau soit proportionnelle au carré du nombre de points connectés, la loi de Reed[48] (1999) ajoute une dimension humaine à la dimension technologique: “Les réseaux qui encouragent la construction de groupes qui communiquent créent une valeur qui croît de façon exponentielle avec la taille du réseau, soit, beaucoup plus rapidement que la loi de Metcalfe. J’appellerai de tels réseaux des réseaux formateurs de groupes”. Sur son site Web, Reed explique que sa loi et celle de Metcalfe « sont des lois de croissance qui indiquent comment la valeur d’un réseau est créée pour ses usagers ». La valeur est ici conçue comme celle de la « connectivité potentielle », c’est à dire « le nombre de choix que les participants d’un réseau peuvent faire (pour s’affilier à des groupes) dans une architecture donnée ».

Jean Heutte, blogueur spécialisé dans l’étude de la communication de groupe, classe les communautés sous trois niveaux : les communautés d’intérêt, les communautés de pratiques et les communautés de projet.

Même virtuelle, la communauté est bien réelle, mais les interactions sortent du cadre spatio-temporel d’une relation physique. Internet permet à une relation virtuelle de prendre forme dans un espace infini, et dont la quantité des interliens se compte en milliard dans le cadre d’une relation Internet. Pour Prax[49], comprendre le fonctionnement des communautés, c’est comprendre les mécanismes de création de valeur dans la société du savoir, sachant qu’une communauté est un échange entre au moins deux personnes, qui s’enrichissent mutuellement.

b)       Les motivations d’adhésion

La pyramide des besoins schématise une théorie élaborée à partir des observations réalisées dans les 1940 par Abraham Maslow[50] sur

la motivation. Maslow

estime que le besoin, indispensable à la vie de l’homme, a des origines physiologiques, instinctives, mais aussi culturelles et sociales. Il engendre des motivations. D’où l’idée d’une pyramide des besoins : organiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime, et enfin de réalisation de soi. Ils doivent être satisfaits dans l’ordre, avec passage d’un niveau à un autre. L’intégration à une communauté, non pas en tant que simple lecteur, mais en tant que collaborateur semble correspondre aux étages les plus hauts dans la pyramide de Maslow, ceux relatifs au sentiment d’appartenance et à l’estime des autres et de soi. Cependant, le premier niveau, s’il est nuancé rassemble des paramètres inhérents à certains usages sur le net, notamment à travers les communautés. La notion de besoin organique est sous tendu dans le contexte des communautés par le terme « nécessité ». L’individu – fragilisé par les contraintes du monde non virtuel, trouve dans les communautés l’environnement, les contacts, les informations dont il a absolument besoin pour parvenir à ses fins : trouver un emploi; trouver une âme sœur, développer son réseau social professionnel, apporter de l’aide en qualité de citoyen, choisir, sans se tromper, un produit impliquant pour lui. Dans ce cas, le recours à la communauté est ressenti comme un soutien, même si la dimension ludique n’est jamais absente de l’activité qui y est déployée.

À travers le terme « estime», il s’agit plutôt de traduire l’idée de combler un désir ou une envie plutôt qu’un besoin ou une nécessité. Le champ de motivation de la reconnaissance relève plus de la seule volonté de l’individu que de la réponse à une contrainte. Participer à une communauté

de ce

type ne traduit pas un état de fragilité mais plutôt une capacité à s’affirmer au sein d’un groupe ou à en tirer un avantage, voire à y asseoir une forme de leadership. Cependant, on peut s’interroger sur la viabilité non pas de la teneur des besoins de l’être humain du schéma de Maslow, mais sur la hiérarchisation qu’en fait l’auteur dans le cadre d’une intégration à une communauté virtuelle. En effet, un point semble rompre cette hiérarchisation. La participation à une communauté virtuelle ne semble plus relever aujourd’hui d’un prolongement du sentiment d’appartenance jusqu’à l’estime des autres. Internet et sa myriade de communautés ont vu l’apparition des avatars. L’anonymat est par essence un des points forts

de ce

médium, à travers duquel on laisse croire à l’ensemble des protagonistes à une forme de liberté sans frontières que l’emprunt d’un nom imaginaire ne fait que renforcer. Il est aujourd’hui évident que l’anonymat est un des leviers de la prise de possession par le public des contributions. Derrière son écran, untel n’est plus son état civil, il est son avatar. Très peu d’utilisateurs inscrivent leur nom de famille dans l’espace émetteur d’identité. Cette inscription des collaborations dans l’anonymat civil nuance ainsi la théorie de Maslow hiérarchisant les besoins.

À la lumière de la pyramide de Maslow, il convient de noter que ces besoins ne sont que partiellement comblés par les éditeurs de contenus historiques, puisqu’ils ne savent répondre à la dernière étape -la réalisation de soi- qu’à retardement. En effet, seule l’accumulation de données et de connaissances dans la durée peut procurer ce sentiment, alors qu’Internet et de façon sous-jacente les communautés savent répondre à ce besoin dans des délais plus courts, puisqu’il y’a échange et démédiation.

Cependant, malgré la dimension anonyme que revêt la majorité des communautés, on assiste avec le phénomène Facebook[51] à une divulgation de l’identité de l’utilisateur. Facebook met en relation non pas des avatars mais des personnes physiques qui ont des liens sociaux réels. Facebook peut donc être considéré comme une excroissance virtuelle de la vie réelle. Pour pouvoir se connecter à ses amis, pour pouvoir consulter leurs profil, et surtout, et c’est la rampe de lancement de Facebook, retrouver des anciens amis, il faut divulguer son identité. Pour la première fois, tout à chacun est disponible dans les moteurs de recherche de Facebook, mais aussi ceux de google. Cette tendance va à l’encontre des usages qui ont régi le web pendant des années. Pour la première fois, les intervenants ont leur identité propre. Même le développement massif des blogs n’avait pas réussi à forcer leurs propres auteurs à se démasquer autant. Facebook a réussi ce tour de force puisqu’il propose des prolongements réticulaires dont les issues sont improbables mais ô combien ludiques. Facebook a investi la toile à une vitesse que jalousent l’ensemble des grands acteurs de

la toile. Les

possibilités qu’offrent Facebook sont étonnantes dans le sens où pour la première fois, l’existence virtuelle a un impact immédiat sur la vie réelle. Les employeurs visitent les profils et l’on peut devenir ami avec son supérieur hiérarchique. On pourrait expliquer ce phénomène à travers le terme d’extimité, qui sous tend que chacun des membres de cette communauté fasse non plus preuve de discrétion mais qu’au contraire, qu’il mette en exergue sa réussite virtuelle dans la vie réelle et réciproquement à travers une mise en scène savamment étudiée.

On pourrait donc en conclure, qu’en fin de compte, les théories de Maslow s’avèrent avec le temps, alors qu’elles furent contredites jusqu’il y’a peu par les usages du web. Cela illustre plus encore la complexité des usages liés aux besoins de l’être humain sur

la toile. Cette

tendance à l’extimité corrobore l’idée d’un besoin davantage assumé d’une recentralisation de son « moi » au sein du rapport communicationnel, de l’énoncé. FaceBook relate à chaque instant les déroulements énonciatifs de sa communauté. Ceux-ci sont écrits par chacun des utilisateurs et sont une extériorisation publique de son intimité. Il faudrait en conclure que les écarts dans la perception et l’accès à l’énoncé du « moi » sont immenses entre le medium historique et le réseau communautaire.

2.      Le marketing face au défi communautaire

L’histoire du marketing semble étrangement suivre celle des media. Comme il est expliqué plus haut, l’apparition progressive de communautés sur Internet illustre combien le medium de masse (mais aussi quasi exclusif) semble révolu au bénéfice de segments médiatiques plus fins. Les stratégies marketing de Ford à aujourd’hui suivent la même direction que les médias. Évidemment, cela n’est pas anodin puisqu’elles s’appuient sur une valorisation du produit ou du service sur des supports destinés à influencer la cible désirée dans son acte d’achat. Par conséquent, media et marketing sont intimement liés. Il est envisageable de considérer que leurs problèmes respectifs à accéder à leur cible sont endogènes à leurs liens, parfois collusifs.

La conditionnalité du déploiement du flux implique une toute autre façon d’appréhender le rapport entre l’actant, le citoyen, le consommateur et l’ensemble des grandes structures économiques ou médiatiques. Puisque l’industrie médiatique dépend en partie de sa capacité à toucher la cible désirée, il paraissait improbable de voir les stratégies marketing fidèles à ce mariage de circonstance.

Les marketeurs[52] semblent avoir enfin compris l’importance de l’observation des usages et des comportements relatifs à Internet, notamment en ce qui concerne les communautés. Les jeunes, le hip-hop, la tectonique[53], les adulescents[54], les no-childs[55] ou encore les passionnés d’art lyrique, tout est sujet à se retrouver autour d’un sujet commun. La communauté peut être sociologique, politique, économique, culturelle, sportive…Chacun des utilisateurs sur le net est un actant qui veut se faire entendre, que ce soit dans sa bande d’amis ou dans une communauté scientifique. Ce champ de motivation relève plus de la seule volonté de l’individu que de la réponse à une contrainte. Participer à une communauté ne traduit pas un état de fragilité mais plutôt une capacité à s’affirmer au sein d’un groupe ou à en tirer un avantage, voire à y asseoir une forme de leadership. Les marketeurs ont ainsi pris la mesure de l’hyper segmentation et de la nécessité de remonter la chaîne identitaire de l’individu médiatique.

Deux tendances corroborent la réalisation de cette hypothèse : comme écrit ci-dessus, la convergence des moyens d’accès Internet rendra la participation à la vie de ces communautés encore plus simple, encore plus régulière. La deuxième tendance est celle de l’arrivée à l’âge adulte -pendant lequel le prescripteur est aussi acheteur- de la génération née avec l’usage de l’Internet dans la sphère domotique. Pour cette part de la population, les usages sont banalisés sur des outils banals. Il est probable que leur participation à la vie de ces communautés sera l’un des constituants de leur personnalité d’adulte.

Installons cette tendance dans le contexte de la consommation de media. Même si on évoque la propension des jeunes générations à consommer plusieurs media en même temps, il n’empêche que le temps passé par les individus à participer à la vie de ces communautés a de fortes raisons d’être un temps où leur attention ne se porte pas sur d’autres médias, que l’on qualifierait de linéaires. Cette tendance affecte par conséquent l’efficacité de la communication des entreprises.

Plus perturbant encore pour les entreprises, les individus développent à travers leur participation aux communautés des réflexes d’autonomie en matière de création et de diffusion de contenu. Par extension, cela tend à aplanir les écarts dans la puissance d’émission entre l’entreprise et l’individu créateur, le flux étant le même pour tous, à l’inverse des flux linéaires. De plus, les capacités de partage d’une appréciation, renforçant l’impact réel ou ressenti des individus dans le développement d’une opinion, encouragent dès lors à s’exprimer. À travers ces lignes, il convient également de mettre en perspective la dimension de contournement médiatique évoqué en amont. Il importe ainsi de s’interroger sur l’éventuelle fin des « majorités silencieuses ». La démocratisation galopante des usages sur le net risque en effet de réduire plus encore la pénétrabilité cognitive des messages publicitaires.

La mise en relief de comportements dits autonomes, tant dans le déploiement du flux que dans l’implication à la création du medium Internet participent à la mise en distanciation de l’actant face aux discours que l’on peut qualifier d’institutionnels (politiques, experts, marques, medias,…). A cela, on peut ajouter l’agrégation d’avis individuels dont la portée est grandissante dans la capacité de prescription qu’elle implique. Ces facteurs conjugués font de la génération active sur Internet un ensemble d’individu pour lesquels le libre-arbitre n’est pas un choix, mais est en passe de devenir un état. Nous verrons plus loin comment cela se matérialise dans la composition d’une offre médiatique, particulièrement pour les FAI.

3.      L’inéluctable marketing de l’ethnique

Le marketing ethnique, né aux USA, est une façon d’aborder commercialement une segmentation en fonction de l’origine ethnique de

la cible. Les USA

abordent le marketing ethnique non pas comme une menace à l’intégrité nationale, mais plutôt comme outil d’intégration social, au nom de la consommation de masse et des spécificités de chacun. « Si l’Amérique aime ériger le marketing en outil d’intégration sociale, elle n’a aucun scrupule à admettre cependant que l’appât du gain est la motivation première de tout homme d’affaires à l’assaut d’une part de marché que constituent les ethnies aux états unis. » concède Anne Senges[56]. Elle part du principe que « les consommateurs sont de plus en plus difficiles à cibler, l’industrie de la publicité cherche à affiner son tir en visant le plus juste possible ». Plutôt que de diluer les minorités dans la masse, les entreprises américaines investissent des millions pour connaître les différences de comportement de chaque groupe ethnique en fonction de son degré d’acculturation. Le marketing ethnique aux USA s’adresse à une communauté en tant que telle, adapte son message à ses caractéristiques, en parlant le langage du consommateur. Les années 60 ont vu l’avènement de la contre-culture, qui a formé un contexte particulièrement favorable à l’affirmation des droits identitaires. Aujourd’hui le marketing ethnique s’adresse même à des cibles n’appartenant pas à la communauté en question. Le contre-courant Rap au début des années 90 marquait un pas supplémentaire dans la dimension vindicative des ‘Noirs’ américains. Depuis plusieurs années, le rap vend plus aux ‘Blancs’ qu’aux ‘Noirs’ américains. Replacé dans le contexte français, le phénomène est différent mais tout aussi révélateur des désirs d’appartenance à la non-masse : « Aujourd’hui, c’est chic d’être une minorité, comme il est de bon ton d’appartenir à un groupe social particulier et de s’en montrer fier » regrettent les auteurs de

La République Minoritaire

, n’hésitant pas à dénoncer le ‘coming out’
[57] d’individus, qu’ils soient corses, gays ou basques, savoyards ou musulmans et l’idéologie funeste de la totale transparence » cite Anne Sengès.

Politiquement, sociologiquement et économiquement, tous les paramètres sont susceptibles en France d’orienter les stratégies vers des messages uniques diffusés sur des supports segmentés. L’unité républicaine n’est pas encline à la différenciation ethnique du message publicitaire, seul le support en incombe. Cependant, ces communautés existent avec leurs spécificités, leurs cultures, leurs attentes, leurs envies, leur pouvoir d’achat, leurs priorités, leurs sensibilités. Le medium de masse se retrouve face à un dilemme dont il n’est pas le seul décideur. Adapter son message à une communauté ethnique ? Difficilement envisageable pour deux raisons, l’une est que la majorité du public n’est pas visée par ce type de messages, et l’autre est que le principe républicain inscrit dans la constitution veut qu’il n’y ait pas de références religieuses ou ethniques officielles. Certes, officieusement, les minorités sont « visibles » pour reprendre les termes de certaines personnalités politiques, et leurs spécificités n’en sont pas pour autant réduites par leur inexistence administrative. L’auteur cite Karim Stambouli:« même si les marketeurs sont encore réticents, ils devront se rendre à l’évidence que finalement il existe vraiment des leaders d’opinion et des communautés fortes en France et l’apparition de nouveaux media permettra de les rassurer ou de rassurer leurs annonceurs en terme de communication ».[58]

Anne Sengès reprend Howard Buford, spécialiste du marketing gay pour mettre en avant les avantages à remonter la chaîne identitaire d’un individu: « la communauté apprécie particulièrement que les annonceurs s’intéresse à elle à partir du moment où elle la respecte, […] ses membres préfèrent cautionner des annonceurs qui reflètent et respectent leur identité ». « Dorénavant les minorités ethniques en Amérique veulent être ciblées en tant que telles. Plus personne ne veut du ‘melting pot’ mais du ‘salad bowl’, où chaque culture apporte sa spécificité à la culture dominante. Les ethnies sont fières de l’être et les marketeurs ont plus de chance de forger une relation avec elles s’ils s’adressent à ces communautés en mettant en valeur leur spécificité culturelle » remarque Alfred Schreiber de Multicultural Marketing (ibid). Alors que le grand public devient de moins en moins réceptif à la publicité (lassitude et overdose), les immigrés fraîchement arrivés sont plus susceptibles d’être charmé par

la publicité. On

dit d’ailleurs qu’ils sont tellement flattés de l’intérêt commercial qu’on leur porte qu’ils achètent presque en guise de remerciements.

Les communautés qu’elles soient ethniques ou pas sont ce que l’on appelle communément en marketing des cibles de niches. Les chaînes historiques de télévision catalysent aujourd’hui la majorité des investissements publicitaires, signe que les medias de masse sont pour les annonceurs le meilleur moyen de toucher sa cible. Cependant, la démocratisation d’Internet a vu naître une nouvelle forme d’économie, qui remonte la chaîne identitaire d’un individu jusqu’à ses appétences les moins communes. C’est la logique de la prise en compte des niches. Nous verrons par la suite comment les opérateurs Internet ont su s’emparer de ces tendances pour les transposer dans leur offre de services.

D.    Vers une restructuration de la politique de l’offre ; logique de la longue traîne

La théorie de la longue traîne prend forme à travers Chris Andersen[59] qui explique comment Internet a permis à une nouvelle économie de prendre forme. Selon Andersen, « Nos postulats sur les goûts du public ne sont en fait que des illusions dues à une inadéquation entre offre et demande. Il s’agit en fait une réponse du marché à l’inefficacité de la distribution. » Le monde matériel, c'est-à-dire l’économie que nous connaissons tous à travers les magasins physiques présuppose un nombre de limitations quant à l’ouverture du marché à tous. Les limitations sont d’ordre géographique et physique. Les media de radio-télédiffusion sont par exemple très gourmands en ressources et supposent une restriction des fréquences aux plus importants d’entre eux.

En ce qui concerne le divertissement, Andersen met en doute la volonté des grandes industries de vouloir répondre aux attentes de niches au profit de produits de masse. « Ces dernières années, les autres voies (du contenu) ont été marginalisées au profit de grosses machines commerciales fabriquées sur commande par des industries incapables de vivre autrement. » Car, s’il évoque les attentes des niches, c’est que l’auteur estime qu’Internet a permis à chacun d’exprimer ses envies et ses passions au sein de communautés rassembleuses. Le médium interactif a permis d’outrepasser le discours énonciatif des grands medias. « Ce ne sont pas les possibilités offertes qui lui apportent des avantages, c’est le fait de pouvoir choisir », avance Andersen pour illustrer cette tendance au libre-arbitre de l’individu dans ses choix.

Andersen prend pour exemples Amazon et Google qui réalisent une bonne partie de leurs chiffres d’affaires grâce aux segments de niches. La longue traîne est donc la queue des ventes réalisées en petite quantité par une grande quantité de produits. La tête de la traîne représente les « hits » qui génèrent en théorie 80% du chiffre d’affaires selon la loi de Pareto.

Cependant, ce qu’explique l’auteur, c’est que la loi de Pareto n’a de valeur que dans les marchés matériels. Le principe de la longue traîne n’est effectif qu’à certaines conditions : démocratisation des outils de production (tout le monde devient éditeur), baisse des coûts de consommation due à la démocratisation des coûts de production (tout le monde devient distributeur) et connexion entre l’offre et la demande, qui fait connaître aux consommateurs les biens nouveaux qui tirent la demande vers l’aval de la traîne.

Ce paramètre est essentiel puisqu’il reflète combien les inter-connexions, les communautés et les réseaux jouent un rôle primordial dans l’avènement du support Internet en tant que medium collaboratif. De leur dimension prescriptive découlent des recommandations appropriées, agrégées en amont. Cela a pour effet économique d’inciter le client potentiel à aventurer ses recherches plus loin en dehors du monde qu’il connaît déjà, ce qui provoque un glissement de la demande vers les niches. «Du fait de l’élargissement de nos centres d’intérêts dû à l’explosion de la diversité disponible, la demande de conseils éclairés et fiables s’étend désormais aux niches les plus étroites. » Andersen[60] politise sa théorie en soulignant que « les recommandations sont une force de démocratisation dans une industrie remarquablement peu démocratique. »

L’auteur est favorable à la théorie de l’abondance et insiste sur les qualités de filtrage qui ne sont plus du ressort unique des industries mais tendent à prendre forme en aval : « Dans le marché de la longue traîne, la dématérialisation doit permettre de réduire le préfiltrage et d’augmenter le post filtrage, qui se fait la voix du marché. Il canalise les réactions des consommateurs et s’en fait l’écho au lieu de chercher à les anticiper. » La loi des 80/20 subit donc trois mutations dans le marché de la longue traîne : une offre beaucoup plus étoffée devient possible ; comme il est plus facile de trouver les produits les ventes se répartissent ; et il est possible de faire des bénéfices à tous les niveaux de popularité.

La corne d’abondance qu’évoque Andersen est susceptible de répondre favorablement à l’extension du « moi » dans le rapport communicationnel. La logique de micro-niches fait écho à la notion d’affranchissement face à l’hégémonie énonciative des médias historiques. Elle est capable d’adhérer aux besoins identitaires de chaque utilisateur et répond à la multiplicité des émetteurs et récepteurs de flux. Elle est un élément déterminant dans la remontée de la chaîne identitaire d’un individu. En quelque sorte, il s’agit du pendant économique des évolutions des usages observées à travers l’assimilation progressive d’Internet.

L’ensemble des évolutions évoquées dans cette première partie cristallise la disjonction initiée par l’assimilation du médium Internet dans la linéarité des rapports medium-public. La crise de la presse, de la musique et dans une moindre mesure, les problèmes rencontrés par la télévision et la radio sont là pour illustrer leurs difficultés face à l’évolution du faire-réceptif. Internet a permis à ce dernier de se défaire d’une forme de passivité face à la linéarité des flux. Le rôle indispensable et incontournable de l’actant dans le déploiement conditionnel du flux a bouleversé les codes de l’échange communicationnel.

Amorcée par cette révolution technologique, le rôle de l’actant s’est graduellement transformé de récepteur à contributeur.

De ce

paradigme, profondément révolutionnaire, est née une myriade de communautés dont la teneur diffère à l’infini. Chacun des utilisateurs lit, conseille, condamne, vilipende, porte aux nues, aide, se confie dans des échanges qui sont pour la première fois sur un support démédié. Les utilisateurs sont devenus des filtres dans l’aide à la décision et se muent en prescripteurs, au grand damne des entreprises dont les stratégies sont à repenser en conséquence des évolutions sociologiques. On assiste par conséquent à une démédiation des rapports communicationnels que certaines entreprises contournent en s’adressant directement en communautés. Cette démédiation est un concept que les entreprises de media ont du mal à cerner. C’est

de ce

postulat que les frontières que l’on croyait inamovibles se sont fissurées. Nous avons assisté alors à des stratégies d’entreprise inédites, matérialisées notamment, et c’est l’objet de notre propos, par des fournisseurs d’accès Internet proposant des bouquets de chaînes dans le cadre d’une offre globale illimitée comprenant Internet, téléphonie, et télévision.

Cette démarche s’inscrit aussi dans une logique de stratégie de l’offre propre à Internet et totalement inédite. « Nos postulats sur les goûts du public ne sont en fait que des illusions dues à une inadéquation entre offre et demande une réponse du marché à l’inefficacité de la distribution. »[61] Chris Andersen s’interroge sur les limites du marché matériel, et met en exergue la capacité de certaines entreprises à comprendre les évolutions des attentes des consommateurs à travers une stratégie de l’offre ad hoc.

C’est dans ce cadre que nous nous interrogeons sur la portée de cette stratégie d’extension de métier. Au préalable contenant, nous assistons aujourd’hui à des télécoms en passe de devenir éditeurs de contenus. Cette propension à investir sur un marché comme celui des média peut-elle être corrélée à la capacité qu’ont FAI à connaître les nouveaux usages nés sur le web, révélateurs d’une transformation globale des attentes du public ?

C’est à travers l’analyse de l’offre éditoriale et marketing de l’agrégation de chaînes que nous mettrons en perspective les prises en compte des transformations de la consommation media dans la stratégie de l’offre des FAI. Le propos de la deuxième partie sera de mettre en exergue la propension de ces nouveaux acteurs médiatiques à transposer l’évolution des usages sur l’offre de TV sur IP.

« Les masses n’existent pas, il n’existe que des façons de considérer les personnes comme des masses » Raymond Williams

« Nous sommes tous des niches » Virginia Postrel


II.    Transposition des nouveaux usages à travers l’offre éditoriale et marketing de l’IPTV dans une logique d’adhérence utilisateur

À travers l’analyse du contexte socio-économique de la consommation médiatique faite en amont, plusieurs évolutions notables ont été mises en lumière. L’objet de cette partie est de matérialiser la façon dont la stratégie d’intégration des FAI dans le marché des média s’est accompagnée d’une prise en compte de ces évolutions de consommation, qu’elles dépendent des usages ou des facteurs économiques. Au travers des supports matériels et de la prise en compte des données et des avis des utilisateurs, nous verrons en amorce

de ce

chapitre l’adhérence aux nouveaux usages par les FAI. Cela nous conduira à nous pencher sur l’agrégation de chaînes et son écosystème. La mise en place d’un bouquet de chaînes a initié le bouleversement médiatique auquel nous assistons aujourd’hui. La somme des chaînes proposées est le résultat d’une prise en compte des attentes des abonnés. Enfin, ce chapitre démontrera combien l’écart entre les media historiques et ces nouveaux entrants s’est réduit par le biais de politiques divergentes. La stratégie de valeur des FAI s’est ainsi opposée à une perception erratique des attentes des utilisateurs par les éditeurs historiques.

Communément dénommée IPTV pour Internet Protocole, la télévision que proposent les FAI rappelle ses origines télécoms à l’ensemble des utilisateurs. L’IPTV utilise donc les ressources nécessaires à l’acheminement du signal téléphonique (Internet) pour faire passer dans ces dits cuivres[62] des informations de type audiovisuel. NeufCegetel est l’initiateur de ces offres Triple Play, pour Internet, téléphone, TV, appelées aussi Box. En opérant sur le marché de l’agrégation de chaînes, les télécoms participent une fois encore du bouleversement technologique, peu après avoir cannibalisé le marché du téléphone fixe. La convergence de trois supports de communications répondant à des besoins distincts du faire-réceptif sur une base tarifaire très abordable a remis en question l’étanchéité présupposée des frontières entre les supports de communication existants.

A.    Logique d’adhérence aux évolutions des utilisateurs

1.      Transposition du faire-réceptif multimédia sur l’IPTV

Les FAI ont graduellement développé leur offre de télévision. Les atermoiements du début ont laissé place à une offre de plus en plus qualitative. Les supports matériels ont été associés à l’adhérence progressive des attentes et usages des utilisateurs. La télécommande comme la télévision ont accompagné l’acceptation d’un nouvel entrant par les abonnés au travers du recentrage de l’actant dans l’énoncé.

Ces deux supports, à la source de l’échange communicationnel entre faire-émissif et faire-réceptif ont pleinement participé à l’évolution

de ce

rapport.

a)       De la télécommande…

Histoire

En 1956, Robert Adler et Eugène Polley, alors que la télévision était presque expérimentale, créent

la télécommande. Zénith Electricity

demande à ses ingénieurs un moyen de changer de chaînes à partir de l’endroit d’où l’utilisateur regarde

la télévision. Cette

invention marque un tournant dans l’histoire communicationnelle des rapports d’émission-réception.

Cet objet permet à tout à chacun d’augmenter son pouvoir de décision tout en réduisant ses efforts. Cela a pour effet que l’actant s’adonne plus facilement au choix du programme, il dispose d’un pouvoir de décision matérialisé dans un objet qui prolonge ses ordres. Ces injonctions discontinuent le discours énonciatif. Elles resituent l’utilisateur dans une bilatéralité communicationnelle, premier pas vers l’individualisation des choix.

Certains, comme Michel Serres voient même dans la télécommande un outil politique de contournement, de refus, ou d’adhésion. Médiamétrie identifie et matérialise les choix du téléspectateur. Cette prise d’informations est devenue capitale pour les annonceurs désireux de toucher un public de masse. Ces informations sont recoupées et monnayées pour leur caractère informatif des clients potentiels.

Les FAI et les télécommandes

Les télécommandes des FAI sont conçues pour correspondre aux attentes actuelles et futures des utilisateurs. La conception d’une télécommande requiert une connaissance des usages et de leurs évolutions et doit faciliter les choix de l’utilisateur.

Les FAI ont opté à leur début dans l’IPTV pour des télécommandes austères, peu ergonomiques ni même esthétiques. L’implication progressive de ces acteurs dans un marché duquel ils n’étaient pas coutumiers s’est accompagnée d’une augmentation progressive de la qualité de leurs télécommandes. Comme si les FAI avaient compris les efforts qu’il fallait consentir pour se faire accepter en tant que véritable support, les télécommandes ont agrémenté les services TV d’un outil de plus en plus ergonomique et esthétique. NeufCegetel a opté par exemple pour une télécommande « design ». Cela a pour effet de conforter l’utilisateur dans son choix non plus seulement pour des raisons purement économiques : le fait de disposer de chaînes gratuites avec la télévision, mais aussi pour des raisons qualitatives. Les FAI ont pris la mesure de la valeur de la télécommande dans l’imaginaire qu’elle créée chez l’abonné dans le sens où elle est le lien directe entre lui et l’IPTV. Les boîtes étant sommaires pour des raisons de coûts, la priorité mise sur les télécommandes semble correspondre aux attentes des utilisateurs pour lesquels ce genre d’outils légitime le FAI, non plus en tant qu’alternative économique, mais en tant que concurrent direct des autres éditeurs de services télévisuels.

Free a récemment poussé l’expérience plus loin encore avec la livraison à ses nouveaux abonnés d’une télécommande multifonction. Il est à noter que les différentes versions des box se sont accompagnées de la même télécommande. Celle-ci propose à l’abonné la possibilité d’utiliser l’objet d’une façon verticale et d’une façon horizontale. L’usage vertical rappelle les manettes de consoles de jeux avec des boutons placés à des endroits similaires, Free n’a pas encore dévoilé l’usage précis de cette dimension « manette de jeu » mais les utilisateurs s’attendent légitimement à une interaction accrue. La nouvelle télécommande de NeufTV intègre des boutons qui dirigent directement vers des services comme la VoD et le media center, un signe supplémentaire du surgissement du non-linéaire dans les outils issus des usages du linéaire.

b)       …à l’objet télévision

Une évolution lente

Bien que la télécommande innerve la relation d’émission-réception entre le médium télévision et l’utilisateur, celle-ci n’a d’intérêt que si elle agrémente un médium qui justifie son utilisation. Les dernières télécommandes ont gagné en nombre de boutons pour répondre aux nécessités des nouveaux services que proposent les FAI.

La télévision a lancé le télétexte il y’a une dizaine d’années. Cet outil, qui rassemble de l’actualité et des services comme la météo et les courses utiles à l’époque, parait aujourd’hui quelque peu obsolète. Depuis, la télévision et ses diffuseurs n’ont mis en place aucune offre de service interactif alors que la demande de participation de l’utilisateur se faisait de plus en plus sentir. Entre l’époque de lancement du télétexte et aujourd’hui se sont installés des usages qui ont bouleversé le rapport d’émission-réception. Le discours énonciatif écranique propre à la télévision du début des années 90 s’est progressivement révélé inadapté aux besoins communicationnels du moment. Jack Goody rappelait que « les modes de communication d’une société comprennent à la fois les moyens de communication et les rapports sociaux de communication »[63]. C’est à dire que la démocratisation des outils liés à l’Internet émane d’un mouvement d’appropriation de masse. Ce qui, finalement, illustre dans ce cas la corrélation entre avancée technologique et avancée sociologique.

De son côté, la télévision a connu plusieurs mutations de l’ordre du contenu, mais assez peu en ce qui concerne

la forme. Les

écrans plats et la haute définition sont les exceptions. CanalSatellite et TPS ont marqué un tournant en poussant les possibilités d’interaction de l’actant avec l’affichage du programme en cours ou à venir, la possibilité de changer la langue ou les sous-titres ou encore l’achat de films sur Kiosque, en quelque sorte les prémices de

la VOD. Ces

deux agrégateurs de contenus proposent également des jeux, des services utiles, des radios…Le pas en matière d’implication dans l’énoncé est franchi avec l’arrivée sur le marché de ces deux éditeurs issus d’importants groupes média : CanalPlus et TF1.

Les FAI se sont inspirés de ces avancées. La logique de concurrence qui prévaut sur ce marché a favorisé une intense activité des secteurs de recherche et développement, ce qui a permis d’offrir de nouveaux services. Free a installé un disque dur dans son boîtier pour enregistrer directement la télévision, NeufTV a mis en place un media center qui permet d’afficher l’écran de son ordinateur sur sa télé et a poussé à son paroxysme la logique de convergence en lançant

la chaîne Dailymotion

dans son plan de service, qui diffuse en haute qualité les vidéos présentes sur le site Internet. De plus l’opérateur, désormais intégré au groupe Vivendi à travers sa fusion avec SFR envisage de lancer une chaîne, voire deux, qui diffusent les meilleures courses du jeu vidéo exclusif en réseau Exalight[64], auquel peuvent jouer tous les abonnés. Les logiques de convergence évoquées dans le chapitre I sont corroborées par ce type de services. Le marché étant désormais mature, les fournisseurs arguent leurs innovations pour se démarquer.

La page d’accueil ou la fin de la linéarité discursive

De plus, la gratuité des services télévisuels à travers une offre triple play permet aux FAI de s’arroger du droit à certaines démarches purement marketing qu’un service payant n’oserait pas mettre en avant de façon aussi explicite. La page d’accueil après l’extinction-allumage de la box[65] est la fenêtre de mise en avant censée favoriser l’attractivité de services rémunérateurs. Cette page d’accueil chez NeufCegetel est composée d’un écran reprenant la dernière chaîne visionnée ; des services météo, radio et horoscope, un bandeau publicitaire reprenant les nouveautés pour la VOD et enfin la liste des chaînes aux meilleures audiences de l’instant. Cette chaîne est dénommée « page d’accueil », référence sémantique à Internet. L’architecture de cette chaîne rassemble d’ailleurs certains codes ergonomiques d’une page Internet standard. L’écran est quadrillé en deux verticales, intitulées « frames »[66] dans le langage du web, l’une centrale avec sa fenêtre de diffusion, l’autre sur le côté proposant un accès rapide aux chaînes et aux nouveaux films de la VoD.

Cette page est un des pivots de l’énoncé émis par les services TV des FAI. La palette de possibilités proposée à l’abonné ne relève pas ici d’un simple choix de chaînes et d’informations relatives, mais d’un ensemble de services plus ou moins liés au contenu télévisuel. Les services radio, horoscope, météo répondent à des besoins dits du quotidien. Ces dits-services se rapportent à des usages relatifs à la presse quotidienne pour l’horoscope et la météo, et la radio est le medium que l’on affuble souvent du terme « matinal ». Le media center est le lien entre l’ordinateur et

la télévision. La VOD

est une forme de consommation délinéarisée des contenus audiovisuels.

La résultante de la somme de ces services est que le FAI ne se contraint pas à être un simple relais de l’énoncé télévisuel. L’usage habituel de la télévision implique l’appui sur une touche de la télécommande relative à une chaîne désirée sur laquelle l’utilisateur arrive directement. Le FAI, dans ce cas, innerve l’échange discursif traditionnel entre la télévision et le téléspectateur à l’aide d’outils de promotion ou de service. La différence est majeure dans le sens où les chaînes subissent l’apparition d’une médiation qui ne leur est pas favorable puisque force de propositions alternatives. L’innervement dans l’énoncé émis par les éditeurs historiques annonce une prise de position stratégique de remise en cause des historiques rapports communicationnels entre faire-émissif et faire-réceptif.

Les FAI, lors du lancement d’offres TV dans leur Triple Play, étaient considérés comme de simples fournisseurs de chaînes. La teneur médiatrice de cette page d’accueil s’inscrit dans une démarche ouverte de rétablir le rapport de force entre fournisseur de contenu et opérateur, en indiquant que sans moyens de livraisons, le signal n’a aucune valeur. Le transport du signal, comme nous le verrons par la suite, s’avèrera être un élément déterminant dans l’évolution structurelle du marché.

Cette page d’accueil a pour cadre une prise en compte globale des attentes des abonnés. Le paradigme diffusionniste segmente l’appropriation d’une technologie selon des typologies de personnes graduellement proactives dans l’assimilation de l’outil. Les « innovateurs » comme les dénomme Everett Rogers[67] se rapportent dans ce cadre à une population plutôt jeune et urbaine. L’étude sur la sociologie des groupes et des communautés révèle la part croissante de la méfiance voire de la défiance envers les médias de cette typologie d’utilisateurs fervents utilisateurs du web. Cette distanciation amorcée par le FAI dans le cadre de l’IPTV trouve son parallèle dans la métamorphose de la consommation médiatique. On pourrait en conclure que cette démarche répond à un double enjeu : la demande croissante d’interactivité et l’adhérence à la défiance vis-à-vis des média d’une certaine typologie d’abonnés. Cependant, même si 74%[68] des abonnés TV de NeufTV sont satisfaits de cette page d’accueil, les mécontents arguent l’orientation trop commerciale de la page, l’excès d’information et préféreraient arriver directement sur une chaîne, comme le veulent les usages historiques de

la télévision. Le

point d’amélioration central doit être l’utilité du portail.

L’indicateur d’audience ou l’altérité prescriptive

La fenêtre intitulée « guide des programmes » indique les parts d’audience de l’instant sur l’ensemble des chaînes dont l’abonné dispose. Cela n’est pas anodin, il est inédit pour un téléspectateur de jouir des audiences instantanées. Les mesures audimétriques de la télévision hertzienne sont instrumentalisées par un boitier intitulé « audimètre MCS » informée des visionnages de chacun des membres du ménage. Collectées puis analysées par Médiamétrie, les informations sont utilisées pour établir la popularité d’un programme ou d’une chaîne. Quelques 8000 personnes font partie de cet échantillon destiné à représenter justement la population française. Chacune d’entre elles dispose d’un pouvoir sur la popularité d’un programme.

En septembre 2005, grâce à un partenariat avec Médiamétrie et Netgem[69], NeufCegetel est le premier FAI à proposer un service de mesure d’usage en temps réel des chaînes diffusées par l’opérateur. Top 9 présente le classement des 9 chaînes les plus sélectionnées par les abonnés parmi toutes les chaînes TNT et ADSL du bouquet NeufTV. Cette initiative a rapidement été suivie par Free qui propose le même service sur les 15 chaînes les plus choisies.

Les mesures d’audiences du FAI NeufCegetel ne fonctionnent pas sous le même processus. Elles prennent en compte les boîtiers allumés et la chaîne choisie. Les paramètres sont notoirement différents de ceux de Médiamétrie concernant les audiences hertziennes ou TNT. Médiamétrie appelle régulièrement ses foyers audimétriques pour corréler les informations fournies par le boîtier et les comportements de consommation des habitants du ménage. Ce n’est pas le cas des FAI qui reçoivent des données brutes reversées directement dans la fenêtre « guide des programmes » ou dans

la mosaïque. Il

faut ajouter que les audiences des FAI ne sont pas représentatives de la population et ne sont à aucun moment pondérées. La divergence dans la mesure d’audiences entre media historique et FAI tient en deux mots : qualité et quantité.

Le choix de la quantité chez les FAI résulte d’une adhérence à certains usages types sur le web. Comme expliqué dans La longue traîne[70], « les recommandations sont une force de démocratisation dans une industrie remarquablement peu démocratique. » L’auteur fait référence à l’écosystème du web dont certaines méthodes de recommandations entre acheteurs ont été préemptées par des entreprises comme Amazon[71] ou eBay[72]. La somme des avis donnés par les utilisateurs d’un produit est perçue de façon plus positive que les recommandations d’entreprises marchandes. Et pour cause puisqu’il est dénué à priori de partialité.

Pour revenir à la page d’accueil de NeufTV, cette fenêtre recensant un instantané des audiences installe les abonnés au centre du système évaluateur de performance. Cette intention délibérée de mettre en avant les choix des « confrères » abonnés en direct répond à une tendance lourde observée sur le web, sur lequel tout est noté, commenté, puis conseillé, admiré, porté aux nues ou pointé du doigt. Ainsi, les programmes mis en avant ne relèvent pas d’un choix éditorial de l’opérateur mais de la somme des libres choix de l’ensemble des abonnés branchés sur l’IPTV. Cela n’est pas sans rappeler les mises en avant par « nombre de visionnages » des sites vidéo comme Youtube[73].

Des jeux-concours ou la banalisation du canal

NeufCegetel a lancé un jeu-concours sur TV au mois de juin 2008. Grâce aux touches de la télécommande, l’abonné répond à des questions portant sur le bouquet de chaînes avec à la clé des cadeaux offerts par les chaînes sur lesquelles les questions portent. La page d’accueil met en avant le jeu-concours. L’abonné décide d’interagir à l’aide de sa télécommande et se voit diriger vers un canal, comme pour une chaîne, qui affiche le jeu, et envoie les réponses à un serveur central qui recoupe les réponses avec les informations personnelles du client. L’attribution d’un canal pour ce jeu-concours, comme c’est le cas pour

la chaîne Exalight

, rappelle la faculté des FAI à s’extirper des réglementations usuelles de la télévision hertzienne pour laquelle l’attribution du moindre canal prend des années et nécessite l’intervention de l’état à travers le CSA. Cela invoque une banalisation des canaux, des flux, au profit de services interactifs. Les différents choix de marketing éditorial évoqués plus haut sont conformes à des usages communs à Internet et ses utilisations. Notons aussi que la perception des canaux de télévision par les FAI s’apparente à une forme de relais de croissance. L’utilisation de canaux à des fins promotionnelles, comme le sont les barker[74] ou les pop-up[75], s’inscrivent dans une logique de mise en avant d’un non-linéaire rémunérateur par le biais du linéaire. Certains opérateurs travaillent actuellement sur les perspectives ouvertes par l’EPG[76]. Informant les téléspectateurs du programme, de sa durée, éventuellement de ses acteurs ou réalisateurs, ces guides seraient amenés à renforcer les liens entre linéaire et non linéaire. Il s’agirait d’utiliser les informations relatives au programme afin de les recouper avec la base de données du non-linéaire. Les recommandations qui en découleraient seraient un vecteur supplémentaire de délinéarisation des programmes. L’extraction de l’orthodoxie énonciative inhérente à la télévision conforte l’idée que les FAI se refusent au confinement d’un rôle de simple distributeur.

c)       Des films à domiciles

La VOD peut se draper du voile de la révolutionnaire médiatique. Ce service, pourfendeur de la linéarité discursive et grand protecteur de la fragmentation des audiences est un prolongement de l’indépendance progressive des spectateurs face à la chronologie de diffusion. La délinéarisation des services éditoriaux émane de la conjonction de la profusion des medias disponibles et de la volonté de plus en plus prégnante des utilisateurs d’adapter leur consommation dans un espace-temps dont ils sont les détenteurs. La VOD propose de regarder un programme au moment souhaité. Elle a deux fonctions principales : regarder un programme diffusé sur une chaîne ou visualiser un programme non diffusé à la télévision et qui s’inscrit dans la chronologie des media. Ce type de service est disponible sur le web et sur l’IPTV. Les principaux éditeurs de VOD ont d’abord préempté Internet avant de prendre en charge l’éditorialisation de service de vidéo délinéarisées sur l’IPTV, ce qui illustre une fois encore les passerelles entre le net et la télévision à l’initiative des opérateurs Internet. Depuis, certains FAI se sont affranchis

de ce

partenariat pour monter leur propre service, ce qui d’une autre façon fait montre de leur pugnacité quant à devenir un véritable éditeur.

Revenons à la dimension interactive des services VOD disponibles sur l’IPTV. Thématisée, classée par nouveautés, paquetée autour d’un acteur ou d’une typologie de films, la mise à disposition des contenus implique une bonne lisibilité. L’acception populaire veut que la VOD soit assimilée au VideoClub[77] à domicile. Ceci est vrai en partie, mais les FAI ont augmenté le bénéfice client à travers plusieurs points.

            L’écart de confort se situe dans le paiement. Les FAI ont systématisé le report sur la facture de l’abonné de ses achats en VOD. Cela réduit sensiblement le frein à l’achat par la disparition de l’acte physique d’achat avec une carte bancaire et la composition du code. Ce mode de paiement s’inscrit dans la logique de floutage des coûts réels par les opérateurs mobiles ou Internet grâce à l’étalement des paiements de façon mensuel. Les cautions et les déplacements liés à la location en vidéoclub disparaissent. Le fait d’être déjà abonné auprès du fournisseur réduit les incertitudes d’achat liées aux angoisses des problèmes bancaires sur Internet. Les opérateurs inscrivent les consommations sur la facture totale et cela permet à l’abonné de faire converger une fois de plus des consommations vers un nombre réduit de factures. Matérialisation directe de toutes les théories de convergence des media, la facture comptabilise des services différents qui utilisent au final le même signal. Elle symbolise le regroupement de services médiatiques autour d’entités restreintes, mais aussi l’assimilation d’usages car elle est de plus en plus envoyée dans une boîte électronique au profit d’envois postaux.

Les FAI se font également empathiques puisque les films pornographiques ne sont pas nommés dans l’édition de

la facture. La

consultation des consommations sur deux supports, la boîte mail et la télévision s’inscrit dans une pratique multimédia et interactive.

            

La somme des avantages promis par les FAI ne se résume pas à des paramètres fiduciaires. Mesurant la mutation des usages et des attentes qui en découlent, l’architecture des services de vidéo à la demande s’est agrémentée d’outils interactifs riches. Les résumés de films ne sont pas une nouveauté dans la location de films. La possibilité de visionner une bande-annonce en est une, tout comme l’apparition des notes de critiques et des spectateurs. Ces avis émanent du site Allocine.fr, institution sur Internet. Fort de son agrégation de résumé, photos, bande annonces, critiques professionnelles et avis de spectateurs pour chaque film, Allocine.fr[78] dispose d’une forte potentialité en termes de contenus. Ce partenariat démontre une fois de plus la capacité des FAI à établir des passerelles entre Internet et l’IPTV. Il est à noter que les premières notes auxquelles est confronté le potentiel acheteur de film sont celles des spectateurs, transposition directe des usages liés au web et de la prise en compte de l’avis de l’Autre. En effet, le fait que les notes « spectateurs » soient valorisées met en relief la faculté des FAI à saisir les exigences des téléspectateurs dans la prise en compte de « l’altérité prescriptive » à travers l’évolution des usages. Les stratégies marketing s’orientent vers une offre plus exhaustive tant en termes de quantité que de qualité. Le nombre de films ne cesse d’augmenter.

La Haute Définition

dispose désormais d’une thématique à elle seule et prend de l’envergure.

Il faut ajouter que la VOD se démarque de la télévision non seulement en termes d’architecture mais aussi dans sa capacité à prendre en compte l’égotisme de l’utilisateur. Et ce, afin de le rendre central dans le dispositif médiatique, de « lui permettre de se faire sa propre grille de programmes », comme le souligne Xavier Couture, directeur des contenus d’Orange, décidé à « inventer la télévision de demain ». 

2.      Collecte de données et écoute: une perception précise et centrale

a)       La collecte de données

Les FAI diligentent des enquêtes de satisfaction auprès de leurs abonnés qui visent à connaitre leur appréciation de l’usage de la télévision, de l’offre et des services. Chaque service est sujet à appréciation, que ce soit la télécommande ou la composition de l’offre de chaînes. La télécommande est par exemple décryptée par les abonnés selon sa facilité d’utilisation, son design, son ergonomie, la qualité du faisceau. La télévision sur IP est caractérisée selon différents paramètres, de la qualité du signal et de l’image à la fiabilité du service en passant par la qualité des chaînes disponibles dans l’offre gratuite, payante. L’enquête n’omet pas d’interroger sur l’appréciation de l’ensemble du service, et sur les raisons qui pourraient pousser à une résiliation. Il est à noter que la satisfaction du client est, en théorie du moins, érigée en objectif global à l’ensemble des métiers de l’opérateur.

Les parcours des utilisateurs sont également examinés avec minutie à l’aide d’outils techniques similaires à ceux du web. La typologie d’enquête s’en rapproche dans le sens où le click équivaut à l’appui sur une touche de

la télécommande. Cela

n’est pas anodin puisque l’analogie des structures écraniques et des usages accrédite la thèse d’une transposition des observations faîtes sur les évolutions de consommations médiatiques. La télécommande est ainsi considérée par les enquêtes sous la même typologie que la souris d’ordinateur. Le cheminement de l’utilisateur est spécialement analysé quand il y’a volonté d’achat. Les étapes injonctives du faire-réceptif actif sont-elles le fruit d’une architecture incitative? Quels sont les meilleurs espaces d’annonces des offres? Quels sont les éléments inhibant, pouvant faire avorter un acte d’achat? Ces processus sont analysés comme ceux du web. Les parcours des utilisateurs sont étudiés et mémorisées, dans le dessein de parvenir à recouper un certain nombre d’informations afin de personnaliser le rapport communicationnel, tout comme des outils le permettent sur le web.

b)       Des utilisateurs dont l’avis fait foi

Terreau des projets d’amélioration des services, ce type d’enquête illustre une prise en considération réelle des attentes des utilisateurs, qui peut en un sens marquer une différence avec les stratégies de clientèle des éditeurs de chaînes ou des opérateurs mobiles. Cet écart peut s’expliquer par la méconnaissance initiale du marché des opérateurs et dans leur volonté de l’introduire. La prise en compte de l’avis des utilisateurs ne se fait pas seulement à partir d’études qualitatives et quantitatives. Les départements marketing s’adaptent eux aussi les évolutions des usages. En effet, une veille est organisée sur les fora de neuf.fr, lieu d’échanges relatif à l’ensemble des services entre abonnés ou abonnés potentiels. Ce site est considéré par les départements marketing comme une véritable mine d’or. Henri de Bodinat estime même que “les entreprises de valeur considèrent les plaintes comme de riches informations, comme une donnée précieuse concernant un problème, structurel ou d’exécution.” La remontée de l’information en interne est essentielle dans la prise en compte des avis d’utilisateurs.

Cependant, l’offre de NeufCegetel souffre de quelques lacunes dans la valorisation du client. Même si elle retranscrit les opinions sur un contenu d’un site populaire comme allocine.fr,

la fenêtre VOD

est encore étanche à une forme plus aboutie d’implication de l’utilisateur dans l’énoncé puisqu’il est dans l’impossibilité de donner une note au contenu.

Son concurrent Free a opté pour une stratégie d’adhérence plus assumée encore.

La plateforme Internet

de Free a mis en place une enquête demandant aux abonnés la chaîne étrangère qu’ils désiraient le plus. La stratégie de valeur prend forme dans ce cas, puisque l’entreprise est plus dans le sondage que dans l’estimation des attentes. Il s’agit ici de montrer comment l’écoute du client est déterminante dans la composition de l’offre. Cette démarche rassemble conjointement la logique de décentration du web et la logique d’adhérence client. D’autant plus qu’elle est un vecteur de satisfaction des abonnés, à qui on donne la possibilité d’influer sur les futurs contenus. C’est aussi un moyen subtil de satisfaire leur volonté d’être décisif dans le rapport communicationnel et central dans la mise en place de l’énoncé.

À la lumière des actions d’adhérence menées par les FAI, on comprend mieux que les enjeux pour les acteurs du secteur sont concentrés en direction du public, dans un marché où la multiplicité de l’offre audiovisuelle s’allie au flux continu d’applications interactives. Chris Andersen[79] n’y voit rien d’autre qu’une logique de partage des filtres : « Dans le marché de la longue traîne, la dématérialisation doit permettre de réduire le préfiltrage et d’augmenter le post filtrage, qui se fait la voix du marché. Il canalise les réactions des consommateurs et s’en fait l’écho au lieu de chercher à les anticiper. » La partie qui suit déterminera la transposition de ces stratégies dans la composition du bouquet de chaînes.

B.    Ecosystème de l’agrégation de chaînes et perspectives communautaires

L’étude des logiques d’adhérence à l’évolution des usages par les FAI a mis en relief la capacité de transposition et d’adaptation à travers différents outils et services. Ici, nous nous attacherons à déterminer comment la composition du bouquet de chaînes correspond aux logiques évoquées en amont, celles de l’adhérence aux nouveaux usages et de contournement médiatique. Plus précisément, nous mettrons en avant la capacité des FAI à composer des offres correspondantes aux nouvelles attentes médiatiques des utilisateurs, à travers les chaînes locales ou les chaînes étrangères.

1.      Composition du bouquet, consommation et valorisation du contenu

Près des deux tiers des foyers français équipés d’un poste de télévision accèdent désormais à une offre étendue de chaînes, gratuitement ou sur abonnement, ce qui représente une multiplication par trois du nombre de « foyers multichaînes » depuis 2001. NeufCegetel a préempté l’offre de télévision dans le cadre du service de livraison du signal Internet dans les foyers. L’agrégation de chaînes gratuites comprises dans une offre plus globale marque un tournant dans la marchandisation de services audiovisuels. Bien avant la TNT, un opérateur propose des chaînes non hertziennes sans sur-tarification. Alors que les deux groupes de chaînes privés les plus importants se font férocement concurrence sur l’agrégation de chaînes, un opérateur télécom utilise ses réseaux téléphoniques pour y introduire des signaux de chaînes de télévision.

En innervant de cette façon le marché de l’agrégation de chaînes, NeufCegetel a cristallisé à lui seul la mutation systémique d’un marché dont les bases semblaient inamovibles. Se présentent face au consommateur non seulement des opérateurs historiques proposant une offre de bouquet de chaînes, mais également un fournisseur qui fait passer pour gratuit, car à tarification égale, des chaînes de télévision en plus de l’accès Internet. Le bénéfice utilisateur se retrouve pour la première fois corrélée aux termes de convergences médiatiques.

L’intense concurrence entre TPS et Canalsatellite voit poindre son crépuscule le 21 mars 2007 lorsque le deuxième rachète la propriété de TF1 et M6. Inéluctable, la mise en place du monopole répond à des logiques marchandes inhérentes à toute logique de domination, dans un marché où les coups se rendent chaque fois plus forts. La perspective d’un lancement progressif de mise à disposition de chaînes hertziennes numériques sur le territoire français couplée à des offres ADSL[80] aux bouquets de plus en plus complets a scellé le sort de TPS[81].

À ce jour, les agrégateurs de chaînes sont pléthores, que ce soit par câble avec Numéricable, par l’ADSL avec Free, Orange et NeufCegetel ou encore par satellite avec Canalsatellite ou BIS Sat. Bien que ces sociétés mènent des stratégies qui ont toutes la même finalité, attirer le client potentiel selon un prix et une offre, les méthodes ne sont pas les mêmes. Les composantes

de ce

marché ne sont pas égalitaires et un certain nombre de paramètres biaisent

la concurrence. Pour

les chaînes, en dehors des chaînes de la TNT gratuite, financées par la publicité, les principaux critères de négociation avec les distributeurs sont en général les suivants : les conditions financières et ensuite la visibilité et les conditions de mise en valeur de la marque au sein du bouquet. Sur ce point, Canalsat offre à ce jour, la meilleure exposition aux yeux de la plupart des chaînes.

Sur le premier point, peu de chaînes peuvent espérer des FAI une rémunération aussi importante que celle que leur offre Canalsat aujourd’hui car NeufCegetel est limité dans le développement de son offre de chaînes exclusives; Free n’a pas encore manifesté d’intérêt pour les contenus et Orange s’est attelé en priorité au premium.

a)       L’exclusivité au centre du processus de valorisation

En tant qu’opérateur historique, CanalSatellite dispose d’atouts liés à l’expérience, mais également d’un passé concurrentiel dont les dividendes tombent aujourd’hui. Générée par une concurrence frontale entre TPS et CSAT, la pression à la création de valeur n’a jamais cessé. Elle a pris différentes formes, de la création de chaîne à l’achat de droits exclusifs. La logique économique d’intégration verticale a plaidé pour une distribution exclusive de chaînes. Les chaînes cinéma du Groupe Canal étaient diffusées en exclusivité sur Canalsat, les chaînes du groupe TF1 en exclusivité sur TPS. Cette situation était acceptée par le régulateur, dans la mesure où la concurrence entre TPS et Canalsat était jugée suffisante pour animer le marché. En revanche, la fusion a généré une position dominante en concentrant la diffusion exclusive des chaînes premium[82] (notamment cinéma) entre les mains d’un unique opérateur. Le nouvel ensemble a donc dû s’engager à lever la clause d’exclusivité pour sept chaînes. Pour le reste des chaînes adossées au Groupe Canalsat/TPS, qu’elles soient premium ou non, l’exclusivité reste

la norme. On

retrouve la même logique chez Orange (distribution exclusive d’Orange Sports TV, lancement annoncé d’Orange Cinéma Séries en exclusivité). Nous reviendrons plus précisément sur ce sujet plus tard, puisqu’il symbolise en partie la perméabilité graduelle des frontières entre opérateurs Internet et éditeurs de contenus.

La concurrence récente qu’imposent les FAI met en relief les avantages liés à la fusion capitalistique. La profusion de chaînes trouve son différenciant dans la valeur que le client accorde aux contenus. Ceux-ci sont classés selon les attentes des utilisateurs, les plus demandés étant considérés “premium”. C’est le nerf d’une guerre dans laquelle les FAI se sont engagés en éditorialisant des offres que les éditeurs de chaînes comme TF1 et Canal avaient préemptées.

Pour un bouquet comme pour une chaîne, la détention d’une exclusivité relève d’une capacité à se différencier. Obtenir un contenu exclusif est gage d’adhérence d’un certain segment de la population, puisqu’il rend impossible son accès sur d’autres plateformes de diffusion. La substitualité mesure la possibilité selon laquelle le client désireux d’accéder au contenu peut combler son besoin à travers d’autres offres. Le corollaire de cet avantage est celui de l’augmentation des parts de marchés. Même si le coût de l’acquisition de l’exclusivité n’est pas amorti, comme c’est souvent le cas avec les évènements sportifs majeurs, il en résulte tout de même une attractivité accrue.

Ces avantages participent aux fondements éditoriaux et commerciaux d’un medium. Ils sont le ciment qui comble l’écart entre simple distributeur et éditeur. Tout comme une radio ou un journal dispose d’un style, le diffuseur dispose de contenus qui, selon la façon dont il les modèle et les éditorialise renvoient à une image, un des fondements du devenir medium, car identifiable et impliquant.

La composition d’un bouquet est le résultat d’un dosage entre substitualité et attractivité. Le cinéma français est aujourd’hui l’illustration d’un type de contenu dont la substitualité est renforcée par plusieurs paramètres: des obligations légales de préachat de droits de diffusion, ajoutée à cela une forte attractivité des formats plus courts que sont les séries et une concurrence du cinéma américain toujours solide. De plus, l’utilité qu’en font les chaînes à travers le marché de la rediffusion et la profondeur des catalogues réduisent la dimension attrayante de l’exclusivité.

L’objectif d’un agrégateur est de rendre sa composition attractive pour les segments les plus larges possibles de la population ciblée avec des contenus à la substitualité faible. Ce type de contenus étant clairement identifiés, les coûts d’acquisition sont élevés, même lorsque sans exclusivité. Car hormis les exclusivités, les points différenciants entre les agrégateurs se font sur les chaînes consensuelles, thématiques mais rassembleuses. LEquipeTV, Eurosport ou encore ParisPremière en sont. Vendues au prix fort, elles font parfois l’objet d’exclusivité lorsqu’elles sont adossées à un éditeur historique, comme c’est le cas pour Eurosport avec TF1 et par extension Canal.

L’ensemble des contraintes tarifaires et capitalistiques ont permis l’éclosion d’une stratégie d’agrégation alternative, ciblé en partie sur des segments de population plus fins. Free a opté pour une mise à disposition d’une myriade de chaînes. NeufCegetel propose un bouquet de type pyramidal, gratuit puis payant. Orange compose son offre avec des thématiques payantes.

Les chaînes, de thématiques diverses, sont celles qui ont subi les conséquences de

la fusion TPS

et CanalSat et la fin de

la concurrence. Cela

a eu pour effet de réduire considérablement l’attrait des chaînes non premium. Privilégiant majoritairement une diffusion la plus large possible plutôt que des négociations tarifaires peu enclines à aboutir, les chaînes de second choix ont adhéré à la stratégie de profusion d’un opérateur comme Free. Les opérateurs Internet, eux-mêmes au cœur d’une concurrence intense, sont soumis à des obligations de limitations des dépenses. Le tarif de base que paye un abonné est utilisé pour répondre aux dépenses de trois services (Triple Play) ainsi qu’à des investissements lourds. Émane de ces contraintes budgétaires une mise à disposition de quantité de chaînes de télévision gratuites ou très peu chères. Cette politique de la corne d’abondance fait écho à celle que Chris Andersen évoque sur le medium Internet dans les stratégies marketing des sites commerçants. La logique de la longue traîne
[83] répond à deux logiques convergentes, le sentiment de satisfaction de l’utilisateur devant la quantité de choix qui lui est proposée et l’adhérence probable à un produit d’un segment. Free, et les autres FAI qui ont suivi cette méthode se sont inspirés de l’évolution des usages relatifs au web.

À l’analyse des typologies de chaînes et de leur capacité à répondre aux attentes d’un certain nombre de consommateurs de media, il est plus aisé de comprendre comment les FAI se sont accommodés des impératifs économiques et capitalistiques dans la composition de leur offre.

b)       Les chaînes thématiques, pivots de l’offre

On recense aujourd’hui en France 148 chaînes diffusées dont 125 conventionnées. Chaque année voit son lot de chaînes disparaître ou apparaître. L’A.C.C.e.S relève qu’en 2006, « ce sont surtout des thématiques de niche qui ont été développées par les éditeurs de programmes, tels l’art de vivre, le téléachat ou encore les jeux »[84]. L’organisme de représentation des chaînes thématiques indique également que « le mouvement se poursuit en 2007 : la thématique communautaire enregistre la plus forte diversification avec cinq chaînes créées. La création de la chaîne Vivolta[85], destinée aux seniors, marque le début d’une nouvelle thématique générationnelle. »

Toutes les chaînes thématiques ne se valent pas : elles ont des contributions variables à l’audience, au volume d’abonnement et à l’image des distributeurs. En 2007, les thématiques « musique » et « sport » sont les mieux représentées avec 15 chaînes. Dans le cadre d’une étude sur les comportements de consommation des abonnés NeufTV[86], les genres plébiscités sont la jeunesse et le sport, respectivement cités à 57% et 54% à la question de la thématique incitant à l’abonnement.

Comptabilisées depuis leur lancement dans l’ensemble « Autres TV », les chaînes de la TNT sont le moteur de la croissance du poste « Autres TV » qui a gagné 1,6 point de part d’audience au cours de la première année consécutive au lancement de la TNT en mars 2005.[87]

Les chaînes thématiques sont le pivot d’un bouquet de chaînes. L’étude de l’agrégation de chaînes par les FAI à travers les chaînes locales et les chaînes communautaires mettra en lumière la prise en compte des évolutions des usages et attentes des consommateurs de télévision. La logique de la longue traîne[88] prend forme dans la démarche des FAI de voir en chaque produit ou service la possibilité de toucher un segment de la population et d’augmenter la satisfaction du client à travers une prise en compte de tous les goûts. Comme Andersen le théorise, la logique de la longue traîne a des ressorts économiques. La vente de produits à des micro-niches est très rentable puisque les coûts d’acquisition liées à l’offre et la demande est moindre.

2.      Les chaînes locales, ou l’avènement de la proximité

Les chaînes locales ont directement profité des logiques d’agrégation insufflées par les FAI. Toujours dans une logique d’abondance, Free a mis à disposition une quantité de chaînes locales. Jusqu’ici confinées à des moyens de diffusion limitées à l’hertzien et parfois au câble, ces chaînes qui diffusent à des bassins de population qui flirtent parfois avec le million ont vu le CSA bouleverser

la donne. En

effet, l’attribution de canaux numériques hertziens à des chaînes locales ainsi que le décret 14.2 de la loi de 86 sur les télécommunications a permis à ces chaînes dont les bassins de population touchée varie de quelques dizaines de milliers de personnes à plusieurs millions de disposer d’une visibilité inédite. En revanche, certains opérateurs comme Neufcegetel ou Orange n’ont pas fait preuve d’activisme sur ce sujet pendant que Free voyait dans ces éditeurs une possibilité d’étoffer leur bouquet. Aujourd’hui, les opérateurs réfractaires ont compris que chaque utilisateur est en quelque sorte « local ».

Il convient de retenir qu’au delà de la dimension de profusion du bouquet, il persiste chez les opérateurs télécoms, aujourd’hui tous enclins à offrir des canaux à ces chaînes dans leur plan de service une dimension empathique forte. Gageons que CanalSat s’inspirera de ses concurrents pour diffuser à l’avenir plus de chaînes locales, puisque aujourd’hui, en 2008, seule une chaîne locale est présente dans l’offre contre 13 pour Free, auxquelles il faut ajouter les 22 canaux de France 3 Région.

Contrairement aux éditeurs historiques, les opérateurs télécoms se sont attachés à toucher l’ensemble des segments de la population, non plus seulement selon des critères sociologiques, professionnels, mais aussi géographiques. S’attarder sur les fora des sites des opérateurs permet de prendre la mesure des attentes des abonnés. Ces plateformes de dialogue, dont la prise en compte par les opérateurs est réelle, comme il a été expliqué plus haut, a révélé aussi le désir des utilisateurs de pouvoir disposer de la chaîne de leur localité où qu’ils soient en France. La quantité d’expatriés attachés à leur région est un élément que les opérateurs historiques ont semble t-il peu pris en compte.

De plus la dématérialisation des services, générée par la quantité d’espace disponible dans les tuyaux des télécoms permet une mise en production des chaînes les plus petites. Et ce, d’autant plus que toutes les chaînes locales ne touchent pas de rémunération. Elles trouvent malgré cela une fenêtre de diffusion nouvelle pour laquelle les annonceurs voient un moyen de toucher un public géographiquement ciblé.

La prépondérance des chaînes locales dans le paysage audiovisuel français a suscité l’intérêt de groupes de média comme Hersant ou NRJ, qui y voient une ouverture stratégique, preuve que les FAI ont su préempté éditorialement une offre laissée pour compte et qu’ils ont par conséquent participé à la modification d’une part du marché audiovisuel.

La mise en perspective de la typologie des chaînes locales évoque une réponse à la centralisation géographique du traitement médiatique. La quasi-totalité des éditeurs de chaînes, de quotidiens et de radio sont situés en région parisienne. L’avènement du web a permis à l’actant de se départir de la dimension dogmatique du traitement de l’information et du divertissement, grâce à une plus importante décentration des rapports communicationnels. La diffusion de chaînes locales ou ethniques, comme nous le détaillerons par la suite participent à une forme d’adhérence au contournement médiatique, évoqué en amont.

3.      Les chaînes étrangères, ou l’avènement de la micro segmentation communautaire

De la formation des bouquets de chaînes comme CanalSat et TPS ont naquis des chaînes étrangères dans le paysage audiovisuel français. La typologie des premiers consommateurs de bouquets était urbain, de classe socioprofessionnelle supérieure et qui voyait dans la mise à disposition de chaînes étrangères d’information comme BBC ou CNN une possibilité de satisfaire son besoin de culture, élément fondateur de l’adhérence à un bouquet à l’époque du marché bipolaire.

L’information est toujours la thématique la plus représentée avec l’arrivée de chaînes arabes, maghrébines, chinoises,… Depuis quelques années, on assiste à la mise en service de chaînes étrangères généralistes. Cette démarche des opérateurs répond à une véritable prise en compte des segments dits communautaires voire ethnique de leur base d’abonnés. En effet, la décentration progressive du rapport communicationnel entre public et médias historiques a généré sur le web une activité des groupements communautaires ethniques.

Certains sociologues évoquent même une défiance à l’encontre de média qu’on institutionnalise tout autant qu’un appareil étatique. Les collusions entre pouvoir et information ont discrédité le traitement médiatique auprès d’une frange de la population dite en marge. La France, même si dans son souci d’unité ne saurait reconnaître les différences ethniques ne peut empêcher les desiderata d’expression d’appartenance culturels, voire cultuels. Anne Sengès explique comment les stratégies marketing des grands groupes industriels aux USA ont appréhendé les communautés ethniques non pas comme des entités à assimiler au sein de la société tant dans les traits culturels que dans leurs désirs et dans la façon de communiquer auprès d’eux, mais comme des segments avec des leaders d’opinion et un pouvoir d’achat.

Grâce en partie aux services des FAI, on assiste depuis plusieurs années à l’émergence de communautés actives de toutes tailles. Les FAI sont donc au fait de ces tendances aux regroupements par affinités ou par sensibilités. La prise en compte des centres d’intérêts des clients se fait très facilement. Les acteurs de l’économie Internet, parmi lesquels les FAI (musique, blogs, affichage,…) axent prioritairement leur stratégie sur la connaissance des communautés. Les FAI ont su outrepasser l’hégémonie des faisceaux médiatiques au profit d’une prise en compte des particularités des clients potentiels. En proposant des chaînes généralistes étrangères, à l’unité ou en pack plus souvent, il est possible de toucher la sensibilité culturelle d’un client, qui verra dans l’abonnement à ce type de service une prise réelle avec son pays d’origine, au delà de l’information. C’est ce qu’ont ainsi entrepris les FAI en proposant des bouquets arabes, chinois et plus récemment d’Afrique noire.

Les probabilités de réussite de ces options sont établies selon divers sondages informels. Tout d’abord les sites Internets communautaires relatifs au FAI, qui permet de connaître les attentes de certains abonnés, ensuite les sites communautaires ethniques qui recensent les désirs des membres et enfin les estimations officieuses des segments ethniques en France.

Il est extrêmement valorisant pour un individu sensible à la culture de son pays d’origine d’abord de pouvoir accéder à des contenus dont il se sent particulièrement proche, à travers duquel il s’implique dans une communauté, mais aussi de sentir que sa communauté représente des opportunités mercantiles, qu’elle existe dans les stratégies marketing. Anne Sengès évoque cette tendance à la satisfaction des communautés d’exister en tant que cible marketing[89]. NeufCegetel a ainsi pu assisté à la convergence de deux phénomènes qui a permis à son concurrent Free de préempter une communauté importante: le premier est que le lancement d’un pack Chine chez l’opérateur filiale d’Iliad a fait naître une vague d’enthousiasme chez les clients potentiels concernés, qui se sont empressés de communiquer cette information, le second est la forte adhérence de la communauté au projet; en s’abonnant elle fait montre à l’initiateur combien il a eu raison de voir en elle une opportunité mercantile. L’exemple d’Apsara est également révélateur de la malléabilité d’une communauté à une offre qui lui est proposée. Free a été le premier opérateur à diffuser cette chaîne cambodgienne. Aujourd’hui les services marketing des différents opérateurs estiment que 75%[90] des cambodgiens de France sont abonnés à Free.

Le principe du pack communautaire ethnique est singulier dans sa définition médiatique. C’est tout d’abord un pack de plusieurs chaînes que seule une minorité de la population nationale est capable de comprendre, tant linguistiquement que culturellement. Cela reflète l’adhérence graduelle du faire-réceptif à des processus de décentration des rapports communicationnels, mettant à mal une forme d’hégémonie des médias historiques. La dimension nationale du discours énonciatif voit son périmètre se réduire chaque fois qu’un actant fait le choix d’être un faire-réceptif d’une chaîne non nationale. Comme évoquée en amont dans cette étude, la dimension du contournement médiatique est réelle. En effet, les abonnés ont conscience que l’univers discursif alternatif répond à un besoin de mise en connexion avec le pays d’origine mais aussi à une forme de différenciation médiatique. Les faisceaux médiatiques se sont donc enrichis d’une nouvelle thématique. Elle prend racine dans la prise en compte de la communauté, qui reproduit le schéma communicationnel du web à travers une diffusion en univers clos, au sein d’un plus grand univers médiatique. Le pack communautaire n’est effectivement visible que pour les abonnés, mais il existe au sein d’une offre plus grande encore.

La mise en forme de ces préceptes du web illustre combien la logique de la longue traîne imprègne l’actualisation systémique du traitement communicationnel. Ces mises en services de packs[91] dont le nombre d’abonnés ne se compte souvent qu’en centaines suffisent à mettre en exergue la prise en compte de l’ensemble des segments et leurs désirs.

Evidemment, les opérateurs ne font pas uniquement preuve de sollicitude en lançant des packs communautaires, ils y voient également un vecteur d’augmentation du revenu moyen par abonné. Chris Andersen voit dans le marché de la longue traîne une forme de démocratie, qui laisserait à chaque individu la possibilité de choisir: ”dans le marché de la longue traîne, la dématérialisation doit permettre de réduire le préfiltrage et d’augmenter le post filtrage, qui se fait la voix du marché. Il canalise les réactions des consommateurs et s’en fait l’écho au lieu de chercher à les anticiper.”[92]

Cette dimension de responsabilisation des utilisateurs émane des évolutions des usages liées au web et marque par conséquent la différence entre nouveaux opérateurs dans leur manière d’appréhender le marché et le consommateur et média historiques, pour qui consensus et masse sont des maîtres mots.

Les deux parties précédentes balayent le champ des logiques d’adhérence client, à travers les supports et les compositions des offres. Il s’agit de montrer de façon sous-jacente comment les FAI ont transposé les usages liés au web à une offre audiovisuelle. La troisième partie s’attachera à démontrer l’écart entre les stratégies des médias historiques et celle de ces nouveaux entrants en termes de positionnement et de valorisation de l’utilisateur dans l’énoncé.

C.    De la séduction à la valeur; dichotomie stratégique des médias historiques et des FAI

Le dessein de cette partie sera de matérialiser les écarts dans la perception des clients entre les éditeurs historiques et les nouveaux acteurs du marché. Il sera question de séduction et de valeur dans les stratégies des différents acteurs. Par la suite, le dynamisme des nouveaux entrants sera opposé à une supposée apathie des éditeurs historiques dans le positionnement du faire-réceptif au sein de l’énoncé.

1.      D’une stratégie de séduction à une stratégie de valeur

“A la différence de la domination ou de la séduction, la valeur consiste à produire une offre parfaitement alignée sur les besoins du marché, annoncée pour ce qu’elle est, sans illusion ou surpromesse, reposant sur des priorités ou des arbitrages optimums pour le client, qui lui donne une satisfaction réelle à l’usage.” C’est par ces termes qu’Henri de Bodinat résume la stratégie de valeur dans Les mystères de l’offre[93].

A l’étude de l’insatisfaction constante des services après ventes des FAI par leurs clients, il serait aisé d’intégrer ces opérateurs dans la liste de ces entreprises dont l’offre n’est pas à la hauteur des promesses. En effet, la fiabilité de la livraison du signal servant à l’utilisation d’Internet n’a cessé d’être stigmatisée par les associations de consommateurs. La concomitance des problèmes et du coût élevé des appels pour l’aide à leur résolution n’ont pas aidé à construire une image positive des opérateurs auprès des clients; acquis ou potentiels.

Cependant, l’intense concurrence qui fait loi dans ce marché à obliger chacun des acteurs à opérer à une valorisation de leur offre, ce qui a abouti aux offres triple play. Trois services pour le prix d’un semblait être le crédo des opérateurs. L’adhérence est ici prégnante dans ce qu’elle a permis aux clients d’économiser des factures de téléphone voire de bouquets de chaînes s’ils le désirent. Cette schizophrénie trouble la façon dont on pourrait classer les FAI dans leur respect des attentes clients.

Il est indéniable que les FAI recoupent un certain nombre d’éléments inhérents à toute entreprise dont la promesse est supérieure à l’offre. L’annonce de débit de bande passante n’est qu’exceptionnellement correspondante aux résultats effectifs, tout comme il est extrêmement rare que cette offre concerne réellement plus qu’une infime minorité de

la population. Cette

démarche de promesses a été initiée par l’arrivé de l’ADSL sur le marché français. Les acteurs du marché se sont échinés à proposer des offres aux débits toujours plus élevés auprès de clients qu’on laissait aux prises avec des services techniques peu efficients en cas de problèmes. La montée de l’insatisfaction des clients a permis à Orange d’assoir sa domination sur le marché, parce que elle est l’opérateur historique et donc plus enclin à rassurer les clients dits “suiveurs”, mais aussi parce qu’elle est l’entreprise à laquelle on a attribué le statut de meilleur service client.

De ce

postulat s’est inspiré Free pour proposer une offre triple play qui regroupe pour la première fois, la voix, la tv et l’accès à Internet.

Les éditeurs historiques n’ont pas suivi la même courbe de valeur que les FAI. Jean Louis Missika hiérarchise l’histoire de la télévision selon l’évolution du rapport entre émetteur et récepteur. Reprenant Umberto Eco dans La Guerre du Faux, l’auteur affuble le premier âge de la télévision de la terminologie de ‘paléo-télévision’. Cette période illustre le contrat auquel souscrit le téléspectateur, qui est “somme toute assez sommaire, et repose sur une conception du monde d’une extrême simplicité: il y’a d’un coté les détenteurs du savoir, de l’autre ceux qui ont la chance inestimable de se le voir transmettre”[94]. Missika y voit l’effet d’un “droit à la parole réservé aux détenteurs du pouvoir”, au “téléspectateur, on réclame de la révérence voire de la déférence”. Cette période d’orthodoxie énonciative est l’émanation de deux paramètres convergents : diffusionnisme et individualisme restreint.

Le paradigme diffusionniste d’Everett Rogers prend toute sa dimension dans le cas de l’appropriation par les masses de

la télévision. En

effet, l’avantage relatif de cet outil avec l’apparition de l‘image est réel et se combine avec une volonté politique d’équiper les foyers. Le deuxième paramètre correspond à un contexte historique et politique d’après guerre pendant lequel les desiderata personnels sont étouffés par un ‘Etat Providence’ très interventionniste et décisionnaire. “Si individualisme il y’a, c’est d’un individualisme passif, encadré et limité qu’il s’agit” reprend Missika. L’auteur dénonce une télévision très « discrète sur les thèmes de société » et « peu encline a laissé la parole aux auditeurs ». Le chamboulement politique et social qu’a permis d’opérer Mai 68 n‘a pas été suivi d’une évolution parallèle de

la télévision. Le

changement en découlera car la demande a changé mais aussi parce que les forces économiques ont perçu le potentiel de cet outil de masse. Missika dénomme cette nouvelle période la “néo télévision”. La privatisation de chaînes annonce une mutation sensationnelle dans le rapport entre faire-émissif et faire-réceptif, puisque la mise à disposition de plusieurs chaînes dont l’état ne contrôle plus entièrement la programmation révèle l’outil télévisuel sous un nouveau jour: celui du choix.

Le téléspectateur semble être au centre de la bataille entre chaînes. “C’est le surgissement de l’intime”(ibid), la désacralisation du medium. La télévision devient une excroissance du quotidien, elle est missionnaire, dépositaire d’un rôle social central dans l’aide aux gens, dans sa capacité à faire rêver ou à faire pleurer, rire, rassembler en somme. L’individu est enfin central, “on passe du général au particulier”, la dimension cathartique de la télévision est prédominante dans le rapport entre faire-émissif et faire-réceptif. Le ‘reality-show’ propulse l’individu lambda au centre de l’énoncé, il “fait figure de héros”. “Le téléspectateur-récepteur est bien au cœur du dispositif de la néo télévision”.

La montée en puissance de « l’individualisme positif » comme le décrit Missika va de paire avec l’avènement de la ‘post télévision’, qui “doit être “le soutien inconditionnel de sa volonté de l’affirmation de soi”. « N’importe qui peut accéder à l’espace écranique, même s’il n’a rien à dire de singulier, “il suffit d’être”. » Il importe de nuancer cette affirmation de Missika dans le sens où faibel est la part de la population à accéder à l’espace écranique. « La télévision façonne sa créature et lui permet de transcender son état d’origine » pour Missika, reprenant la légende du Pygmalion. L’auteur s’interroge sur la portée sociétale d’une baisse d’influence de la télévision via une égalisation des statuts entre émetteur et récepteur. Cette banalisation de l’accès au flux est selon Missika la dilution de la création de valeur de la télévision.

On peut légitimement s’interroger sur la dimension de séduction de ces entreprises de média. En effet, “le citoyen ordinaire qui n’avait rien vécu avait le droit à la parole, mais elle lui était encore octroyée par un responsable éditorial professionnel”. Cependant, la prise en compte des évolutions sociologiques par les éditeurs et l’avènement de l’individu lambda qui n’a qu’à “être” ne semble pas suffire à endiguer la progressive baisse de la consommation de télévision. L’exemple de l’arrêt probable de la diffusion de la Star Academy[95] en 2009 illustre cette tendance.

Le fait même de médier la relation, et c’est le cas à partir du moment où un programme est éditorialisé, s’oppose en partie aux attentes de l’actant médiatique en matière de décentration dans les rapports communicationnels. Ses aspirations à exister en tant qu’individu social tout autant qu’en tant qu’individu médiatique vont à l’encontre des velléités discursives du medium télévision. Le désir de l’utilisateur d’être au centre du dispositif médiatique va à l’encontre même des modes de diffusion du support télévisuel. Le fait que la télévision soit un faisceau de masse, un support qui s’adresse à plusieurs, l’empêche de répondre à l’égotisme croissant qu’impliquent les usages du web. L’écart entre promesses et réalité se creuse chaque jour davantage. L’éditorialisation télévisuelle n’adhère pas à la démédiation croissante qui prend forme dans les usages, qui passe par un déterminisme technologique et une affirmation de son soi. Le diffusionnisme et la quotidienneté des usages sur Internet ont démarqué l’actant médiatique des dogmes énonciatifs propres aux médias historiques. La valeur présupposée du medium télévision s’en est retrouvé changée, sans même que son contenu ne soit significativement sujet à transformation.

La télévision, usant de sa dimension de medium de masse a de tout temps sacralisé son propre énoncé. Cela est endogène au système même de diffusion. Cette dimension de dominant-dominé revêt peu à peu l’uniforme de la désuétude puisqu’en progressive inadéquation avec l’évolution des usages de consommation de media. La télévision a toujours été une excroissance de la réalité, une forme de rêve accessible qui présuppose un statut qui relève plus de séduction que de la valeur.

Henri de Bodinat oppose à cet état la stratégie de valeur, qu’il considère comme étant “en rupture avec la domination car l’entreprise n’essaie pas de restreindre la liberté de choix du client pour l’obliger à consommer le produit ou le service de l’entreprise. Elle est en rupture avec la séduction, car l’entreprise ne cherche pas à surpromettre ou à masquer la réalité au client.”

            Même si la baisse de consommation de la télévision confirme en partie les théories avancées en amont, il faut pondérer ce propos. Il est certain que les FAI font preuve de dynamisme tant dans leur adaptabilité aux attentes d’une partie de la population mais cela n’exonère pas les éditeurs historiques d’une forme d’adhérence aux désirs de l’audience. Mettre en avant des personnalités appréciées sur des plateaux de télévision, diffuser une série populaire, programmer des soirées spéciales à l’attention d’une cause fédératrice, divulguer les prévisions météorologiques ou les résultats hippiques, diffuser un événement sportif capable de rassembler vingt millions de téléspectateurs,…Un tas d’actions menées par ces éditeurs relèvent d’une forme d’adhérence, c’est le principe même de l’audience. Ce que nous essayons de montrer ici, c’est comment l’assimilation progressive des usages inhérents à Internet se diffuse dans la consommation de médias. Plus populaires seront ces usages, plus les écarts entre utilisateur et éditeur historique se creuseront dans la mesure où ce dernier saura ou pas s’adapter aux velléités réceptives de l’utilisateur. Notons tout de même que les éditeurs historiques rassemblent chaque jour des millions de téléspectateurs et que 9 français sur 10 ont un contact avec elle au moins une fois par jour. Ce qui prouve en un sens que les éditeurs historiques savent encore comment plaire à leur auditoire.

Si les Fai ont surpromis une qualité de service pendant longtemps, l’intense concurrence et l’avènement du triple play ont sensiblement modifié la perception du client. La téléphonie gratuite et illimitée en direction de plusieurs dizaines de pays, la profusion de chaînes de télévision sans oublier un débit Internet élevé y ont participé. Selon de Bodinat, “la stratégie de domination implique (…) une attaque systématique des concurrents éventuels, (…) la stratégie de séduction implique(…) la capacité financière à investir massivement en communication ou une capacité exceptionnelle à gérer les relations publiques. La stratégie de valeur suppose à la fois une R&D importante et maîtrisée, une connaissance intime des clients, une grande créativité dans la définition de l’offre, une capacité supérieure à mettre en œuvre des processus de production efficaces, et une maîtrise de tous les points contacts clients.”[96] Le paramétrage des attributs stratégiques définis ici correspond en partie à celui des FAI depuis que le triple play a été lancé. Comme il sera évoqué par la suite, la R&D et la créativité des offres sont des éléments déterminants dans la stratégie de différenciation qui oppose les principaux acteurs du marché.

Décrite en amont, l’écoute des attentes des clients est aujourd’hui un véritable support de composition de l’offre, non pas dans l’estimation d’une attente, mais dans la prise en compte d’une attente effective. De Bodinat met en exergue le sentiment de valorisation du client dans l’offre à laquelle il soumet son acte décisionnaire quand “l’entreprise satisfait de façon exceptionnelle les besoins dans son domaine d’activité, (…), à un coût qui autorise un prix accessible et raisonnable par rapport à la valeur fournie.” L’auteur intègre cette stratégie dans un contexte social en mutation : “la stagnation des classes moyennes dont le pouvoir d’achat n’augmente plus, concilié à l’augmentation des riches et des pauvres bouleversent l’ordre établi des besoins. La structure pyramidale est abandonnée. Résultat : une pression forte sur les revenus des ménages moyens et une sensibilité croissante au prix et à la qualité durable” (ibid).

La profusion de services fournis par les FAI est un autre élément fondateur de la relation de valeur entre le distributeur et le client: “l’abondance a une valeur très forte pour les clients. Elle sécurise un niveau de dépense. Et surtout elle fait disparaître le côté culpabilisant et négatif de la consommation à l’acte, où le plaisir est gâché par le coût et le risque.”(ibid)

Les relations au client entre les FAI et les éditeurs historiques sont vraisemblablement antinomiques puisque de tout temps, l’utilisateur de télévision n’a pu que rarement ou jamais accéder à son attente, sa place au cœur du dispositif médiatique. L’histoire de la télévision a été dominée par des dimensions coercitives tant politiques que technologiques qui ont réduit l’utilisateur à son seul statu de faire-réceptif passif. La suite s’est plus ancrée dans une démarche d’illusion, de rêve, de séduction auquel on semblait promettre sans que rien n’arrive à extirper l’utilisateur de son statut immuable de faire-réceptif passif. Les FAI ont opté pour une valorisation de l’expérience du produit, de sa qualité, de la satisfaction que le client en retire. Le fossé dans la prise en compte des évolutions de consommation médiatique entre les media audiovisuels et les télécoms est illustré par la prise en compte ou non des communautés. « Miroir d'une société de l'individu-roi, de l'immédiateté et de l'interactivité, la téléréalité a manifesté un nouveau comportement psychologique », note Xavier Couture, nouveau responsable des programmes chez l'opérateur Orange. « C'est le règne du "Je veux me voir à l'écran". Il ne s'agit donc plus de s'adresser à une masse de spectateurs, mais chaque fois à un spectateur unique », cristallisation de la stratégie de valorisation des FAI.

2.      Où comment les FAI ont diversifié l’adhérence client face à des medias amorphes

Comme il a été décrit en amont, l’entreprise “pratiquant la stratégie de valeur avec succès a le don d’empathie” (ibid). Cette mise en situation permet aux entreprises d’identifier les besoins du client. Elle se met à la place du client pour identifier ses besoins et mesurer leur importance relative. Selon de Bodinat, “les entreprises à stratégie de valeur savent mieux que les autres surmonter une difficulté commune à toutes les entreprises : le changement permanent des marchés. Les marchés bougent, sous la pression de transformations sociologiques, d’évolution technologiques, de mutation économiques.”(Ibid)

L’A.C.C.è.S confirme la façon dont les télécoms ont su corréler innovation technologique et sentiment de bénéfice chez le client :

« Les abonnements aux offres multi-services des fournisseurs d’accès à Internet bénéficient toujours d’un taux de croissance élevé. Ceci profite mécaniquement à la distribution de la télévision par ce vecteur. L’attractivité des offres de télévision sur ADSL est garantie à la fois par des forfaits multiservices qui incluent la télévision, et par la course à l’innovation des FAI qui les pousse à introduire toujours plus de services audiovisuels : magnétoscope numérique, media center[97], VoD, haute définition, vidéos autoproduites... »[98].

A travers leurs innovations, les FAI savent autant répondre aux attentes des utilisateurs pluri-media que de les créer.

Les FAI ont développé des outils qui semblent être une transposition directe des usages du web sur l’IPTV. Freeplayer est une solution logicielle qui transforme la Freebox en plate-forme multimédia, permettant de diffuser sur un téléviseur ou une chaîne Hi-fi les contenus multimédias se trouvant sur l’ordinateur. Free a en sus développé la convergence technologique au point d’intégrer de la voix (indirecte) sur l’IPTV. En effet, l’utilisateur peut accéder à ses messages téléphoniques laissés sur la boîte vocale directement sur l’interface de télévision, tout comme le propose Orange par exemple sur son site Internet, où l’identification en tant que client permet l’écoute de ses messages. Le fait même de pouvoir choisir de s’abonner à une chaîne ou de s’en désabonner directement depuis l’interface de télévision s’approche des usages du web, avec le confort qui l’accompagne. Rappelons-nous que les abonnements à CanalPlus se faisaient jusqu’il y’a peu en majorité en magasin.

Revenons à l’opérateur Free dont la préemption sur un certain nombre d’avancées technologiques se conforme aux usages du web, confirmant la tendance à la forme d’interaction indirecte entre les deux medias. L’opérateur propose TV Perso, espace d’expression d’échange de vidéos dans lequel l’utilisateur peut consulter et noter l’ensemble des vidéos personnelles de la communauté d’abonnés, légèrement éditorialisées puisque regroupées en thématiques et classées par popularité, ce qui fait écho à Youtube. L’abonné lambda dispose ici du format écranique de la télévision avec tout ce que cela implique en terme de valorisation pour s’exposer en tant qu’actant médiatique dans un univers proche d’Internet. Son rôle n’est plus défini et restreint par des professionnels mais par des utilisateurs lambda. Il est à noter que cet espace met également à disposition du stockage pour les vidéos et d’une boîte de réception sur laquelle l’utilisateur reçoit les nouvelles vidéos des autres freenautes. L’outil Télésite permet de surfer sur Internet depuis le téléviseur sur des sites spécifiquement adaptés à la Freebox et de diffuser le site web personnel de l’abonné en y intégrant également les vidéos de TV Perso. Rares sont les services sur la télévision qui ont autant poussé la transposition des codes et des usages du web, tant dans la place de l’actant que dans les outils.

Dans une logique moins transpositive et plus proche de l’univers de la télévision, le service de “Contrôle du direct” illustre combien la somme des services proposée par ce FAI s’inscrit dans une logique de stratégie de valeur. Il s’agit également dans ce cas d’une adhérence à la fragmentation des audiences, en permettant à l’utilisateur de décider en partie de la temporalité de ses visionnages, s’affranchissant des diktats du linéaire.

L’ensemble de ces démarches répondent aux attentes d’une minorité importante de la population d’abonnés, parmi les plus pro-actifs dans le rapport communicationnel. Cette capacité à hétérogénéiser les émissions et les réceptions de flux ne s’est pas encore diffusée dans l’ensemble de

la société. Les FAI

se démarquent particulièrement des éditeurs historiques dans leur capacité à remonter la chaîne identitaire de l’individu médiatique, de la masse au très singulier. La profusion de chaînes mises à disposition comme les locales ou les étrangères s’inscrivent dans cette dans le sens où il existe une prise en compte des segments les plus fins de la population dans leur volonté de faire exister leurs centres d’intérêts. Dans la prise en compte de la profondeur des appétences médiatiques d’un individu, l’écart entre FAI et éditeur historique est décelable.

Cependant, les éditeurs historiques, même s’ils ont fait preuve d’une certaine lenteur ont su enclencher des processus de décentration pour répondre aux attentes de certains utilisateurs. Quand TF1 inaugure un site internet sur le modèle de Youtube permet la mise à disposition de contenus créés par des individus médiatiques non professionnels, il s’agit d’une prise en compte du besoin d’expression de l’utilisateur. Idem pour Crea+[99] de CanalPlus.

La dématérialisation des espaces dédiés aux contenus a permis aux opérateurs de mettre à disposition un ensemble de services audiovisuels. Ceux-là favorisent l’adhérence de chacun des actants dont les sensibilités à l’existence dans le dispositif médiatique semblent prégnantes.

Les écarts dans l’adhérence à l’évolution des usages entre les éditeurs historiques et les nouveaux entrants posent quelques questions. Nous nous sommes interrogés sur les raisons sociologiques, historiques, et sémiologiques de ces divergences. Il est indispensable de compléter cet état de fait en se penchant sur les sujets déterminants pour l’avenir du marché des media.

Le troisième chapitre pose les questions relatives au contenu, à la concurrence, et à la pérennisation du FAI dans le secteur des medias. Que les FAI disposent aujourd’hui d’une partie des contenants, et ce, en circuit fermé, marque une rupture historique dans la distribution des flux en France. Les présages qui en découlent nourrissent les pages média des journaux. La guerre entre un éditeur historique, CanalPlus et un opérateur télécom privatisé pose des questions quant à l’accession de distributeurs de flux au marché des media. De plus, il est ici central de montrer comment la transposition des usages liés au web vers une adhérence utilisateur fait partie d’une stratégie d’extension de métier. Les FAI feront donc l’objet d’une démonstration quant à leurs velléités éditoriales, apparentée à un déplacement progressif du cœur de métier.

Ce troisième chapitre ouvrira des perspectives et se permettra de faire quelques recommandations pour la pérennité de ces nouveaux entrants sur le marché des média.

Enfin, nous nous interrogerons ensuite sur les conséquences de cette introduction des FAI dans le secteur de

la télévision. Nous

verrons dans quelle mesure cela est susceptible de modifier les dispositifs médiatiques et les effets sur la société.


III.  FAI: stratégies d’extension de métier vers un « devenir medium » pérenne et limites de la démédiation

Ce chapitre mettra d’abord en exergue comment et pourquoi les FAI ont amorcé une éditorialisation de contenus et les conséquences de cette stratégie dans les relations avec les éditeurs historiques. Ensuite, il sera question de la concurrence dans la création de valeur, ainsi que l’aboutissement médiatique qu’est la création d’une chaîne de télévision par un FAI. Cela prendra sa dimension dans un contexte de convergence des supports et des logiques de groupe. Enfin, le chapitre se penchera sur les perspectives à envisager sur le marché des médias et les recommandations en terme de pérennisation des acteurs au sein

de ce

marché en mouvement perpétuel. Enfin, nous nous interrogerons sur les conséquences de l’introduction des FAI sur le marché des médias. Quels en sont les impacts médiatiques et sociaux ? Quels sont les points d’achoppement du FAI à « être médium » ?

S’il est aujourd’hui envisageable de comparer des éditeurs de contenus historiques avec des fournisseurs d’accès à Internet, c’est en partie due à une mutation du marché à travers une réduction de leur nombre. On compte aujourd’hui trois principales entités de FAI qui, hormis Orange, ont procédé à des acquisitions-fusions. Cette tendance, prégnante à partir de

2003 a

permis à un marché tripolaire de se structurer. Free a entrepris l’acquisition d’Alice, propriété de Telecom Italia en mai 2008, juste après que NeufCegetel, qui avait auparavant acheté AOL, Cegetel et ClubInternet rejoigne le groupe SFR et par extension Vivendi. Orange, fort d’une part de marché sur le mobile et le fixe d’environ 50% s’est vu refuser des acquisitions pour position dominante par

la DGCCRS. Il

est à noter que le fait que SFR rachète NeufCegetel dépend de paramètres structurels primordiaux dans l’évolution du marché, qui illustre l’écart stratégique et par conséquent financier entre FAI et opérateurs mobiles. Le Conseil de la Concurrence rend en décembre 2005 un jugement confirmant l’entente entre les trois opérateurs mobiles principaux
[100]. Le tribunal est convaincu des collusions stratégiques entre ces derniers, avec une entente tant sur les parts de marché, Orange ne devant pas dépasser les 50% que sur le manque de stimulation concurrentielle. La guerre des prix n’a donc pas eu lieu et par conséquent les taux de marges et les bénéfices de chacune de ces entreprises étaient faramineux. Ce jugement permet de matérialiser l’antagonisme entre le mobile et le fixe, tant dans le rapport au client que dans les ressources économiques.

Les opérateurs fixes n’ont cessé d’investir dans la recherche et le développement, plaçant l’innovation au cœur de la bataille concurrentielle. Cela converge avec la vision qu’a Henri de Bodinat des entreprises optant pour la stratégie de valeur, qui « suppose à la fois une R&D importante et maîtrisée »[101]. Les opérateurs du fixe se sont mués en véritable forces de proposition, et ce de façon permanente et graduelle. C’est cette concurrence qui leur a permis aujourd’hui d’être comparés à des éditeurs historiques de contenus grâce à la mise en service d’une offre TV. Les acteurs du marché du mobile ont pendant ce temps, et ce peut être inconsciemment, réduit leur champ de recherche et développement et se sont confortés dans une stratégie de statu quo que les MVNO n’ont que très partiellement réussi à bousculer.

            Le nombre restreint de canaux hertziens et le monopole de CanalSat sur les bouquets de chaînes s’inscrit dans une analogie avec les opérateurs mobiles dans leur incapacité à surpasser les structures du marché, qu’ils ont eux-mêmes favorisé à stabiliser. La preuve en est avec TF1 et son lobbying pour retarder la promulgation des décrets quant au développement de la TNT.

À la lumière des stratégies d’un opérateur comme Orange, qui profite de la convergence de ses supports, les marchés, auparavant imperméables semblent tendre à s’enchevêtrer et inscrivent chacun des acteurs dans un contexte assez flou. La concomitance de la convergence des supports et de la réduction du nombre d’entités sur le marché laisse entrevoir des stratégies de groupes volontaristes dans une logique de redéfinition du marché autour du contenu. S’il est un élément différenciant aujourd’hui dans le marché des media, il s’agit du contenu. Dans un contexte de fragmentation des audiences, de profusion des offres, la valeur éditoriale est au centre de l’attention des acteurs du marché.

A.    Le contenu au centre de la stratégie de valeur

Quand Time Warner, premier groupe mondial de communication se fait racheter par America On Line, premier fournisseur d’accès à Internet aux USA, cela symbolise la tournure que prend le marche de

la communication. L

’originalité de ces fusions- acquisitions provient du fait que ce sont les « nouvelles entreprises » qui reprennent les entreprises traditionnelles. Les bases structurelles du marché, jusqu’ici stables, vacillent à travers ce type de fusion-acquisition. Ces mouvements capitalistiques mettent en relief les stratégies d’extension de métier des opérateurs Internet qui sont jusqu’ici cantonnés à un rôle de simple distributeur de flux. Philippe Boure affirme sur Acrimed.fr que « le medium Internet correspond à un vecteur communicationnel nouveau qui souffre jusqu’à présent d’un manque de contenu qualitatif. »[102] Le contenu et les catalogues d’œuvre sont au cœur des mutations économiques du marché des médias. En investissant dans le contenu, les entreprises d’accès à l’Internet transforment totalement le marché audiovisuel, tant dans sa structure que dans l’offre qui s’en suit.

1.      L'éditorialisation de contenus délinéarisé décloisonne les TC du rôle de simple distributeur de services éditorialisés 

La fragmentation des audiences est endogène à l’évolution des usages médiatiques, mais la délinéarisation des contenus sur les services audiovisuels de la télévision correspond à une adaptation des usages et des offres. L’adhérence utilisateur dans le cadre de l’offre VOD est forte puisqu’elle répond aux exigences de l’actant d’être central dans l’énoncé médiatique, à travers une maîtrise temporelle de la diffusion du flux. Ces nouvelles fenêtres de diffusion sont forces de proposition alternative à la linéarité discursive.

La chronologie des médias matérialise involontairement les déséquilibres qui prennent forme entre les FAI et les éditeurs historiques. Ces derniers concluent des accords avec la production d’une fiction en amont afin d’assurer sa diffusion télévisuelle deux ans après la sortie en salle. Entre temps, la VOD est autorisée à distribuer le film 33 semaines après sa sortie. Le temps d’arriver sur les écrans de télévision à des heures de grande écoute, le film aura jalonné les différents supports, et son attractivité aura fatalement été réduite.

Les Français sont majoritairement équipés d’écran de télévision dont la taille est plus grande que celui de leur ordinateur domestique. Les usages domotiques veulent également que la télévision reste géographiquement centrale au sein du foyer. Il faut en conclure que l’espace-temps dédié au divertissement privilégie l’utilisation de l’outil télévision à l’ordinateur pour le moment en tout cas. Nous évaluerons en aval les perspectives d’un ordinateur supplantant la télévision dans les usages domotiques. Les usagers auront donc tendance à se tourner vers des injonctions d’achats sur leur écran de télévision, et par essence vers les services VOD des FAI. Cependant, les éditeurs historiques, qui souffrent immédiatement de la fragmentation des audiences n’ont pas été les plus pro-actifs dans la démarche de mise à disposition délinéarisée de leurs contenus. Seuls leurs sites web ont fait office de fenêtre de diffusion délinéarisée.

Les éditeurs historiques ont donc fait preuve d’une certaine réticence à proposer ses contenus de façon délinéarisée. L’arrivée de « pure players »[103] sur le net a enclenché la réponse des éditeurs sur ce même medium avec une mise à disposition progressive de leurs contenus. Comme explicité en amont, TF1 et CanalPlus ont su attirer un public nombreux avec leurs sites Wat et Crea+. Mais la réflexion stratégique de ces mêmes éditeurs est : « Comment monétiser une délinéarisation de contenus »? Cette question devient légitime lorsque l’on connaît les investissements consentis en production et en achat de droits par les éditeurs. La baisse des audiences entraînant une baisse des revenus publicitaires, la question des retours sur investissement se pose.

Pendant que les éditeurs estimaient les risques d’une délinéarisation de leurs contenus, certains opérateurs fixes mettaient en place des structures internes visant à développer une plateforme VOD propre, comme NeufCegetel et Orange. Cette démarche, par exemple chez NeufCegetel, est jalonnée d’une étape pendant laquelle l’opérateur fixe est simple agrégateur de plateformes, notamment, celles de Glowria, CanalPlus, TF1 Vision ou encore M6 Replay. En 2007, la direction de l’innovation estime judicieux de se lancer dans la fabrication d’une plateforme en propre, NeufVOD. L’activisme du FAI dans ce cas marque le détachement progressif de ceux que l’on appelait communément les « tubes » vis-à-vis des éditeurs historiques. L’animation de

la boutique VOD

en est l’illustration patente.

L’éditorialisation détermine des choix de films, des agrégations selon des thématiques, des mises en avant et des recommandations. Ces actions permettent d’augmenter sensiblement les ventes des contenus mis en valeur. Un certain nombre de ces actions recoupent les prérogatives de la programmation d’une chaîne de télévision. À cette démarche incluse dans une stratégie globale, il faut ajouter l’affranchissement des boutiques VOD de leurs fournisseurs de contenus : les catalogues des éditeurs historiques. Aujourd’hui, NeufCegetel dispose d’une plateforme propre, et propose l’accès à celles de TF1 Vision ou CanalPlay. La boutique axe son éditorialisation, son animation et son architecture autour des titres dont l’opérateur est directement distributeur, court-circuitant par conséquent les réseaux de distribution logiques. Il semblerait également qu’à ce jour, la question se pose d’agréger les boutiques en « stand alone »[104] de TF1 ou M6 à NeufVOD afin d’en faire une seule boutique, ce qui ne semble pas réjouir les éditeurs-distributeurs historiques. La création de boutiques de chaînes devait émaner à l’époque d’un besoin de contrôler le non-linéaire au profit du linéaire. En effet, ces nouvelles fenêtres de diffusion constituent une concurrence indirecte et directe pour les éditeurs et distributeurs historiques. Indirecte dans l’exemple de la diffusion de Titanic par TF1, qui n’a pas drainé des audiences proportionnelles aux entrées en cinéma, directe pour Canal+ qui a demandé la fermeture de la fenêtre de VOD locative au moment où s’ouvrent ses propres droits de diffusion exclusive en pay TV[105]: la chaîne payante ne souhaite pas voir les films qu’elle diffuse, disponibles parallèlement en VOD.

L’éditorialisation par les FAI de contenus délinéarisés pourrait être assimilé à une forme de stratégie de valeur, dans sa capacité à répondre aux attentes des utilisateurs et à s’adapter aux évolutions sociologiques, aux transformations des usages. Didier Lombard a matérialisé cette tendance lors du MIPTV à Cannes en Avril 2008 : « La plupart des utilisateurs veulent désormais deux choses : accéder aux contenus de qualité ; et une flexibilité et une interactivité universelles : des contenus où ils veulent quand ils veulent. »

2.      La distribution de contenus dans une démarche d’interdépendance

La solution des éditeurs historiques pour combler la baisse de leurs points d’audience est de mettre au point la télévision de rattrapage[106].« Pour les éditeurs historiques du petit écran, c'est avant tout le moyen de reprendre aussi l'initiative face à la montée en charge de la concurrence de la VOD à l'acte et des nouvelles pratiques « Atawad[107] »[108].

Au départ sur le web, ces télévisions de rattrapage n’ont pas réussi à trouver un public suffisant pour créer une véritable valeur marchande, supposée combler les pertes d’audience sur le linéaire. La délinéarisation des chaînes n’a de valeur pérenne que si elle est intégrée au sein d’une offre de télévision, les écrans d’ordinateur n’étant pas aujourd’hui à même de supplanter la télévision, tant en confort qu’en taille et qu’en disposition domotique. Comme les dispositifs de diffusion avec voie de retour, nécessaire à l’utilisation de la VoD, sont aujourd’hui restreints au nombre de deux, le satellite et l’ADSL, les éditeurs historiques ont dû envisager une collaboration avec des distributeurs dont ils savent qu’ils peuvent représenter à terme un danger concurrentiel. On assiste par conséquent à la mise en place d’un contexte particulier : celui d’une interdépendance entre les FAI et les éditeurs de contenus. Pour les FAI, c’est une occasion d’agrémenter leurs boutiques de contenus de qualité. Pour les chaînes, la télévision de rattrapage est considérée comme un moyen de dompter la fragmentation des audiences, par une prise en considération des usages des utilisateurs. De plus, ce type de service peut être audimétré et offre la possibilité de le monétiser avec des inserts publicitaires. L’intérêt pour les FAI de récupérer du contenu de qualité d’autant plus quand cela s’adapte à l’évolution des usages se monétise et les éditeurs historiques y trouvent des revenus supplétifs. FranceTélévision et Orange ont passé par exemple un accord exclusif de trois ans pour la télévision de rattrapage.

Derrière ces manœuvres pour accroître l’audience, quel que soit le support, il ne peut être occulté le fait que, pour la première fois, les éditeurs historiques trouvent réponse à leurs besoins chez un FAI. Cela démontre comment la démarche d’éditorialisation des FAI couplée à leur connaissance des usages est gage de qualité et d’efficacité, au point que les chaînes de télévisons comblent leurs manquements chez un fournisseur d’accès Internet, qui justifiraient la transformation du terme générique en « fournisseur d’accès aux contenus ». Les services de SVOD[109] de Free prochainement imités par ses concurrents sont thématisés et sont vendus comme des bouquets de chaînes, sauf qu’il s’agit de seuls contenus délinéarisés, visionnables à tout moment et de façon illimitée. En plus d’affermir l’adhérence client, ce service marque une forme de point de non-retour quant au dogme de la linéarité discursive chère aux éditeurs de chaînes. Le point noir de l’offre de prix réside dans sa qualité. En l’état, le catalogue proposé ne saurait satisfaire durablement une large population d’abonnés.

3.      Une pression croissante à l'obtention de contenus de valeur

Les acteurs du marché des FAI ont diminué progressivement, au gré des acquisitions. Ceux qui ont survécu présentaient de toute évidence les garanties capitalistiques les plus sûres. Les investissements qui ont cours en 2008 concernant le développement de la fibre sur le territoire national sont colossaux et répondent à une anticipation des besoins en matière de réseaux. Le retour sur investissement de ces coûts pour une entreprise comme NeufCegetel serait estimé à 30 ans. Les investissements se comptent en milliard d’euros. Afin d’assurer son assise capitalistique, le FAI est dans l’obligation d’augmenter son revenu moyen par abonné, tout en réduisant le taux de résiliation et de voir croître son nombre d’abonnés. La somme de ces contraintes a pour résultats différents types de stratégies. Celle qui semble prévaloir à ce jour est portée par le leader du marché, Orange, qui mise sur le contenu comme le spécifie son président directeur général Didier Lombard « nous sommes dans la situation unique où les réseaux ont besoin de contenus de qualité pour satisfaire leurs clients ».

Dans un contexte concurrentiel féroce, l’acquisition de contenus premiums est déterminante puisqu’elle est un élément de différenciation majeur. Puisque la télévision est le vecteur d’abonnement principal pour 42%[110] des abonnés Orange, l’obtention de contenus de valeur est effectivement primordiale. L’élasticité des FAI est grande avant la contractualisation, mais faible après car les options ne peuvent être prises qu’avec l’opérateur. C’est une des raisons de l’attrait croissant des FAI pour le contenu de valeur, puisque s’il peut être un élément déterminant dans l’acte d’abonnement ou dans la fidélité du client, il est aussi un moyen de créer des abonnements en circuit fermé, sûr, régulier, et monopolisé.

On peut estimer que le marché de l’ADSL arrivera à maturité en France aux alentours de 2012, à la vue des estimations de couverture de

la population. Il

en résultera un marché dont le taux de nouveaux abonnés à

la technologie ADSL

ne progressera que mollement. Les acteurs centreront leurs stratégies marketing sur l’acquisition d’abonnés déjà existants chez les concurrents, avec pour objectif d’augmenter les résiliations à leurs profits. La télévision est donc déjà un moteur pour l’accroissement des parts de marché de chacun des acteurs du marché des éditeurs. Jusqu’ici simples distributeurs des offres existantes, y compris celle de Canalsat, les fournisseurs d’accès se veulent désormais agrégateurs et distributeurs à part entière, comme en témoignent les récentes acquisitions de droits exclusifs d’Orange : catch-up
[111] TV de France Télévisions, lots de la Ligue 1 de football, films et séries de HBO, Warner Bros International Television, Fidélité Films et Gaumont. On assiste à une affirmation identitaire des FAI à travers l’éditorialisation des contenus qui dénote d’une stratégie globale de remontée dans la chaîne de valeur.

La signature d’obtentions de droits de diffusion des contenus dits premiums est régulièrement accompagnée d’une clause d’exclusivité. Ces clauses sont achetées à des tarifs élevés, puisqu’elles sont les éléments déterminants d’abonnement des clients. Les distributeurs jouent sur l’exclusivité au cas par cas, en arbitrant entre le coût de l’exclusivité et la concurrence liée à

la non-exclusivité. Free

a dû ainsi cesser en octobre 2006 la diffusion de L’Equipe TV en raison de la clause d’exclusivité liant la chaîne à Canalsat : le bouquet satellite conservait ainsi le monopole de l’information sportive face aux FAI. Orange a depuis réagi en lançant en septembre 2007 sa propre chaîne d’information sportive Orange Sports TV.

Les exclusivités sont essentielles dans un contexte socio-économique qui dévalorise les produits dits

de stock

, puisque les usages de consommation intense des médias, de détournement massif des règles d’achat des contenus pas les utilisateurs à travers le P2P[112], ainsi que la multiplication des fenêtres de diffusion augmentent de concert la substituabilité de ces programmes. Les contenus premium sont ceux dont la substituabilité est faible, pour lesquels les clients potentiels ressentent un besoin patent.

Si proposer du contenu de valeur aujourd’hui à ses abonnés est si central, c’est aussi parce que les métiers se sont mélangés. La convergence cristallise une perméabilité entre les secteurs, et la période pendant laquelle les FAI se concurrençaient sur une offre TV dite basique a laissé place à une véritable course au contenu de valeur. Les utilisateurs

de ce

type d’offres sont de plus en plus exigeants et n’hésitent pas à résilier si l’offre du concurrent est plus en phase avec leurs appétences éditoriales. La transposition des usages du web sur l’IPTV rend les utilisateurs plus exigeants, plus critiques. La notion de valeur présente la particularité de s’attacher à l’offre intrinsèque, moins à la marque qui l’entoure. On en revient ainsi au rôle central de la valeur, et par extension du contenu dans l’offre des opérateurs Internet, et ce dans une logique économique de satisfaction des attentes des clients.

Si le contenu est aussi central, c’est aussi que s’articulent autour de lui des stratégies d’extension de champs de compétences ou de sauvegarde des positionnements éditoriaux. Cela accouche de logiques de convergence de groupe et de supports mais aussi de création de chaîne par un FAI, paroxysme du « devenir medium ». Il est intéressant de noter que la logique de création de chaîne via des contenus standards est normalement du ressort des éditeurs historiques. On peut s’interroger sur la stratégie d’Orange dans ce cas. Editer des séries et des films comme le font les chaînes ne relève plus de la stratégie d’adhérence montrée en amont. Aucune place n’est préposée au faire-réceptif au sein du dispositif médiatique. Seule la maîtrise du contexte spatio-temporel qui lui est laissée émane d’une forme d’adhérence.

B.    Vers un devenir medium ultra-concurrentiel

1.      Des capacités et des règles déséquilibrées

Si Orange suscite tant d’inquiétudes et de questionnements, ce que l’on pourrait considérer comme une forme d’acception de la part de la corporation, c’est qu’elle a les capacités financières de se lancer sur un marché très spécifique qui nécessite des investissements élevés. À titre de comparaison, l’opérateur fixe et mobile produit un chiffre d’affaires de 53 milliards d’euros en 2007 quand le groupe CanalPlus n’en produit que 4,3. Il faut ajouter à ce déséquilibre capitalistique, dû à une typologie de marché particulière ainsi qu’à un passé d’opérateur public, une différence dans les obligations réglementaires entre l’éditeur qui rend des comptes au CSA, et l’opérateur à l’ARCEP. C’est un élément majeur de friction entre un éditeur historique et un opérateur glissant vers l’édition puisque les obligations en matière d’investissement dans la production européenne et française sont conséquentes. Les règles anti-concentration, que le gouvernement Fillon envisage en 2008 de remettre en question, empêche un groupe média de s’étendre de trop sur le marché.

Ce point est essentiel dans la compréhension de l’opposition systémique entre les éditeurs historiques et les opérateurs télécoms. L’éditeur type, qui a construit son image de medium sur les réseaux hertziens appartient à des groupes privés dont les objectifs sont mercantiles, parfois politiques. Il demeure que ce type d’entité est un des dépositaires du jeu médiatique, au centre de

la société. Les

média concernent l’ensemble de la population et sont soumis à un ensemble de réglementations qui permettent de maintenir une forme d’équité entre les différents acteurs, d’empêcher la mainmise d’une entité sur la diffusion de l’information. Les opérateurs télécoms, en cela, n’ont pas encore le statut juridique d’un éditeur historique. Qu’Orange rassemble 50% du chiffre d’affaires d’un marché est impensable dans le secteur des médias. Le combat est semble-t-il déséquilibré sur des questions juridiques et financières. Le marché du contenu est à l’évidence beaucoup moins rentable que celui du mobile. C’est la raison pour laquelle le groupe CanalPlus demande aux autorités concernées de réguler le principe selon lequel Orange finance les fortes pertes de sa division contenu grâce aux profits de la distribution fixe et mobile. Ce type de bundle[113] ‘accès plus contenu’ est en l’occurrence refusé par les autorités au groupe Vivendi avec SFR et CanalPlus. Une partie de ces éléments sont aujourd’hui sujets à discussion politique sans pour autant qu’Orange ne ralentisse le rythme de son introduction dans le secteur des contenus.

2.      Orange, ou l’extension de métier par excellence

Didier Lombard déclare au MIPTV de Cannes en avril 2008 au monde de la production de contenu : « Nous croyons profondément que notre rôle d’opérateur est d’amplifier la distribution de vos contenus grâce à des usages innovants correspondant aux attentes des consommateurs que nous connaissons bien. » Tout d’abord, il faut analyser cette intervention à la lumière des théories explicitées en amont. La connaissance des consommateurs par les opérateurs qu’il met en exergue dénote une certaine forme de condescendance corporative, mais qui fait écho à la capacité des opérateurs télécoms d’être à l’écoute des utilisateurs, de leurs évolutions, de leurs attentes, mais aussi de l’évolution des usages. Le PDG d’Orange valorise ainsi la capacité de transposition sur les services audiovisuels des observations faîtes des usages du web. Il n’omet évidemment pas de spécifier de façon sous-jacente que l’opérateur « distribue » les contenus des producteurs. Cela implique que les réseaux sont les décideurs, puisqu’ils transportent les flux, mais aussi combien un opérateur comme Orange se dispense aujourd’hui des agrégateurs de programmes que sont les éditeurs historiques pour s’adresser directement à ces façonneurs de contenus.

Orange compte assurer sa conquête aujourd’hui selon trois axes principaux : l’exclusivité de contenus, l’offre de services spécifiques, et l’accroissement de la base adressable. L’offre de services spécifiques a été explicitée en amont puisqu’elle représente l’ensemble des services que les FAI ont progressivement mis à disposition des utilisateurs en s’appuyant sur leur connaissance de leurs attentes et besoins, et sur l’évolution des dispositifs énonciatifs dans le cadre de la consommation de média en France. Que ce soit une valorisation de l’interactivité, la mise en place d’une boutique VOD, la télévision de rattrapage ou encore la convergence des supports, cela relève de la combinaison de l’adhérence utilisateur et de la stratégie de valeur.

L’accroissement de la base adressable est central dans la logique que l’on pourrait appeler ‘cannibale’ du groupe Orange dans sa volonté d’étendre son territoire, tant dans les contenants que dans les contenus. Par sa filiale Globecast, Orange compte étendre son offre triple play grâce au satellite. Offre de complément à l’ADSL, puisque cette dernière ne couvre pas l’ensemble du territoire, elle tend à toucher potentiellement 98% de la population contre seulement 50% aujourd’hui. Cette démarche s’inscrit dans une logique de concurrence des réseaux de distribution étatiques puisque diligenté par des décrets, comme

la TNT. Ces

résolutions visent à couvrir le territoire le plus large dans une logique d’équité territoriale. Le corollaire de ces obligations est une somme d’investissements lourds pour les opérateurs, parfois réfractaires. Aujourd’hui, Orange décide d’optimiser la complémentarité de ses réseaux et de démocratiser plus encore le Triple Play. Cela permettra au groupe d’étendre l’attractivité de son offre puisque disponible partout, elle sera l’égale en terme de couverture de CanalSat, ou du réseau câblé. Le groupe compte d’ici à 2012 gagner des parts de marché en conquête et en fidélisation de son offre Triple Play, et atteindre une base éligible en télévision d’environ 10 millions de clients. L’objectif à terme est de faire migrer les clients CanalSat vers Orange. De plus, en augmentant la diffusion de son offre et en épaississant la base de son offre de télévision payante, Orange compte rentabiliser l’acquisition de ses contenus.

L’acquisition de contenus est effectivement centrale dans la stratégie d’Orange, le groupe a conclu un accord en 2007 avec FranceTélévision pour le service de « catch up TV »[114], qui permet de revoir les programmes de la chaîne de façon délinéarisée. Selon Xavier Couture, le nouveau bouquet “a la capacité d’apporter de la valeur ajoutée aux programmes des chaînes. Après France Télévisions, on discute d’ailleurs actuellement avec TF1 et M6 sur l’enrichissement de leurs contenus”[115] a-t-il déclaré au Journal du Dimanche. Il a aussi été négocié l’acquisition exclusive des productions de la chaîne américaine HBO, réputée pour la qualité de ses productions de série. TF1 serait à ce jour susceptible de vendre TF1 International[116], sa filiale de droits audiovisuels et Orange serait acheteur. Si un tel accord était signé, cela légitime plus encore la thèse de l’enchevêtrement des métiers vers un « devenir médium » des FAI. C’est l’illustration supplémentaire de la capacité des FAI à axer leurs stratégies d’extension de métier à travers les service audiovisuels, mais aussi « pied de nez » de ces derniers aux éditeurs historiques, qui voyaient en les opérateurs la possibilité de diffuser plus encore leurs services. Les difficultés du groupe TF1 dues à la baisse des recettes publicitaires prennent forme dans une fragmentation des audiences et une baisse de la consommation de la télévision au profit d’autres supports. Cela peut permettre de mesurer aussi les répercussions de la lenteur des éditeurs historiques à s’adapter à l’évolution des usages mais aussi de leur manque d’activisme dans le renouvellement de l’offre.

L’acquisition d’un tel catalogue permettrait à Orange d'étoffer son offre en vue du lancement de nouvelles chaînes de télévision consacrées au cinéma et aux séries. L'opérateur a d'ores et déjà signé des accords de première exclusivité avec

la major[117] Warner

et la chaîne américaine HBO. Les raisons qui ont poussé l’opérateur télécom historique à se lancer sur le marché du contenu sont nombreuses : « Les contenus sont un élément différenciant ayant pour objectif de protéger la facture moyenne, voire de l'augmenter légèrement au cours des années à venir », explique Antoine Pradayrol[118]. Le responsable des nouvelles activités de croissance Raoul Roverato voit en partie dans cette démarche une valorisation boursière:

« Les secteurs qui affichent les plus belles perspectives de croissance sont les contenus et la publicité en ligne. C'est sur cette base que les marchés financiers nous valorisent. Au moment où les géants de l'Internet comme Google et Yahoo ! montrent de l'intérêt pour les télécoms, l'élargissement de notre palette est un élément primordial pour que France Télécom garde son rang parmi les grands. »[119] 

Signes que si le développement d’Orange s’articule autour du contenu, c’est pour protéger ses parts de marché dans le secteur des télécoms, mais aussi prévenir les attaques de géants mondiaux de la communication.

3.      Création de chaîne ; paroxysme du devenir medium

Numéricâble lance en octobre 2007 sa chaîne Ma Chaîne Sport, qui propose une véritable programmation de chaîne, avec des temps forts dans

la journée. Du

contenu, pas premium mais exclusif sert la création de

la chaîne. Orange

avait devancé son concurrent du câble avec OrangeSport TV. "Nous avons créé Orange Sports TV car nous n'avons jamais pu diffuser l'Equipe TV, dont CanalSat a l'exclusivité [...] et Canal nous a retiré la diffusion de

la chaîne Infosport

, qui était filiale de TPS "
[120] explique Hervé Payan, directeur des partenariats et services chez Orange. Un exemple supplémentaire de la capacité des FAI à s’affranchir des diktats des éditeurs historiques qui font valoir l’exclusivité obtenue sur certaines chaînes. Orange prévoit par ailleurs une mise en service de ses chaînes Cinéma et Séries pour fin 2008. Au nombre de six, elles seront diffusées sur téléviseur, Internet et mobile dans une logique de convergence sur laquelle nous reviendrons en aval. Il convient de s’attarder sur le principe de créer une chaîne. La particularité de cette démarche réside dans la capacité du FAI à répondre aux données du marché, à anticiper avec promptitude les évolutions des usages et à considérer le marché comme une course vers l’innovation, vers

la création. L

’agrégation de ces aptitudes correspond à la description que fait Bodinat de la stratégie de valeur.

Créer une chaîne pour une entreprise dont le métier de base est de mettre en place des outils de diffusion d’information n’est pas anodin. La rapidité à laquelle une entité comme Orange sait se métamorphoser en véritable éditeur de chaîne est époustouflante, quand on sait la difficulté que représente le lancement d’une chaîne, à en croire les résultats d’exploitation de nombreuses chaînes thématiques. L’approche contextuelle nous offre la possibilité d’imaginer la verticalité progressive de la stratégie du groupe Orange, qui de l’utilisation de tuyaux est passé à l’agrégation de contenus délinéarisés, puis à l’achat de catalogues et de contenus pour déboucher vers le lancement de plusieurs chaînes, qui, logique de domination oblige, ne seront disponibles que sur l’offre Orange TV. Pour Xavier Couture, patron de la division ‘Contenus’ de France Télécom, «chaque chaîne est un service premium éditorialisé»[121], affirmant que «la technologie lance un défi à la création» par l'enrichissement de l'offre qu'elle permet.

            À travers le lancement de plusieurs chaînes linéaires, Orange colle aux dispositifs médiatiques inhérents aux chaînes de télévision historiques. On peut s’interroger dans ce cas sur la stratégie d’adhérence de l’opérateur. Celle-ci s’apparentait-elle au final à un vecteur d’acception plus qu’à une finalité ? Il semblerait que oui, puisque même si les stratégies d’adhérences conformes à la longue traîne sont profitables, cette tendance illustre une recentralisation de l’opérateur vers le linéaire. Bien que la délinéarisation des contenus de ces chaînes sur plusieurs supports doive être mis en parallèle avec une forme d’adhérence aux usages dans la maîtrise du contexte spatio-temporel par l’utilisateur, il demeure une volonté de s’adresser à la masse.

Il n’empêche que dans le monde des médias, le lancement de chaînes par un groupe télécom est une véritable révolution. Elle illustre la puissance de frappe des détenteurs de réseaux et de leur propension à investir le marché du contenu. Cet investissement massif est le paroxysme de la tendance au « devenir medium » d’au moins un FAI sur le support le plus populaire,

la télévision. Cela

remet en question les rapports fondamentaux entre éditeurs et fournisseurs d’accès, mais aussi la capacité d’accès aux contenus. Bien que l’on puisse considérer qu’il s’agit là de l’extinction progressive des monopoles sur l’édition de contenus, il subsiste un écueil majeur, systémique.

Le fait qu’un fournisseur de flux soit aussi éditeur de contenus pose quelques questions. Pour attirer toujours plus de clients, les nouveaux éditeurs réservent leurs offres à leurs abonnés. Légitime est la question de la démocratisation des accès aux contenus. On peut estimer qu’il est paradoxal de s’ériger en éditeur de contenus et de refuser leur accès à une majorité de

la population. Nous

nous attarderons sur ce point lorsque nous évoquerons la pérennisation des FAI sur le marché des contenus. Il n’empêche qu’à travers cette démarche, l’ère des éditeurs inamovibles semble prendre fin, matérialisée par un marché stagnant autant qu’une incapacité à prendre en compte l’évolution des usages.

La somme de toutes les activités constitutive de l’identité d’Orange se solde par une extension de son territoire médiatique, à laquelle il faut associer une intégration progressive à chaque niveau de la chaîne de production de contenu jusqu’à la diffusion sur une chaîne, en propre, à travers un canal de diffusion, en propre. Car, selon Didier Lombard, PDG d’Orange, « les contenus sont l'oxygène de s(m)es réseaux ».[122]

4.      Des logiques de groupe vers une convergence des supports

L’ancrage médiatique se fait donc toujours plus fort au sein des stratégies du groupe Orange. La concurrence, aussi récente soit-elle s’inquiète de voir un acteur aussi puissant s’inscrire profondément, et semble-t-il durablement dans l’éditorialisation de contenus. Le premier concurrent est le groupe CanalPlus, puisqu’il est autant éditeur qu’agrégateur que propriétaire de chaînes. La concurrence est moins forte avec un éditeur comme TF1, qui a réduit ses activités à l’éditorialisation de chaînes, capitalisant sur la valeur de ses espaces publicitaires et de la distribution de programmes. Les relations entre Canal et Orange se sont distendus dès lors que Canal a fait montre de sa volonté de garder « le monopole sur la télévision payante. Orange a créé sa propre chaîne de sport après son refus de lui céder Infosport » selon Xavier Couture.

L’exemple qui met le mieux en perspective la guerre frontale qu’Orange veut mener à l’égard de CanalPlus sur le contenu est celui des droits d’acquisition des programmes de football de la Ligue 1. L’offre Ligue 1, si elle est capable de soulever de telles enchères est qu’elle est centrale pour la vitalité d’un groupe média comme Canal. La bipolarité du marché des opérateurs satellite s’est muée en monopole lorsque TPS a perdu les enchères menées sur l’acquisition de ces droits, puisque ce type de contenu premium à la substitualité très faible est un élément majeur de souscription mais aussi de résiliation pour l’opérateur qui n’en dispose pas. En 2006, Orange investit 8 millions d’euros par an pour les droits sur le support mobile. En 2008, ce sont 200 millions d’euros par an. Illustration claire de la stratégie d’Orange sur le premium, elle démontre aussi sa capacité financière pour acquérir la diffusion de 34 matchs sur leur nouvelle chaîne en propre, OrangeFoot.

Il est légitime de s’interroger quant à la capacité de Canal à prolonger sa mainmise sur les droits premium de l’offre Ligue 1 en 2012. Si Orange venait à les acquérir, et cela est envisageable, comment CanalPlus pourrait-il survivre ? La réponse se trouve sûrement dans le fait que CanalPlus n’est pas un acteur indépendant. En effet, la guerre frontale menée par Orange à l’encontre de CanalPlus prend une dimension supérieure, puisque le rachat de NeufCegetel par SFR contribue à donner au groupe Vivendi les mêmes capacités de convergence : fixe, mobile, télévision.

Les convergences sont ainsi au cœur de la concurrence qui prend forme entre le groupe Vivendi et Orange. Cependant, Vivendi reste un groupe capitalistique, ses arbitrages se font rares, et les coopérations qui paraitraient cohérentes entre propriétaire des réseaux et éditeurs de contenus sont à la merci des échanges entre CanalPlus et SFR. Il est tentant d’imaginer aujourd’hui la teneur du combat que se mènent Orange et Vivendi à travers ses filiales CanalPlus et SFR. Bien que la direction de SFR estime que la société n’a pas vocation à être éditeur de contenus et à coller par extension à la stratégie, il demeure que CanalPlus et SFR sont aujourd’hui concurrents dans l’édition de contenus, sur le mobile et sur le fixe à travers la VOD, ou encore le maintien d’exclusivités au seul Canalsatellite. On peut s’interroger sur la stratégie de Vivendi. Devant l’hyperpuissance du groupe Orange, comment SFR, dans le fixe et mobile et Canal, dans le contenu linéaire et non linéaire, seront-ils respectivement aptes à affronter un adversaire plus puissant financièrement, mais aussi capable d’interconnexions entre les supports, poussant au bout les logiques de convergences ? Puisque SFR refuse de prendre le pas d’Orange en matière d’investissement dans le contenu, quelle sera à terme l’alternative aux offres TV d’Orange ? Probablement CanalPlus. Même si l’offre de CanalPlus est aujourd’hui plus qualitative que celle d’Orange, le pouvoir financier de l’éditeur historique représente à peine un dixième des capacités d’Orange. Ce à quoi il faut ajouter une capacité à amortir les investissements sur différents supports ainsi que la détention des réseaux. Il ne faut pas omettre qu’Orange est capable de faire supporter ses coûts d’investissements pour les contenus à travers les gains que génèrent le fixe ou le mobile. Sans une intervention de l’Etat qui scinderait les activités d’Orange pour une concurrence par secteur plus juste, il est difficile d’estimer les chances respectives de SFR et Canal dans la course aux contenus face à Orange.

À ce jour, Orange ne parvient pas encore à égaler les offres de Canal, même s’il faut faire preuve de prudence avec le lancement des cinq nouvelles chaînes de fiction. Canal dispose tout de même de 400 exclusivités par an, d’un accord-cadre avec cinq grands studios américains, d’un circuit de production et de distribution rodé, d’un studio de création plébiscité, d’une image de marque forte et appréciée, d’une très large base d’abonnés, et des contenus premium les plus forts, notamment avec le football ou les séries les plus demandées.

À la lecture de cette liste, il paraît peu probable de voir Orange détrôner l’éditeur historique. D’autant plus lorsque l’on compare les taux de couverture d’Orange et de CanalPlus. Ce dernier est disponible partout en France, par câble, satellite, ADSL, et distribué par l’ensemble des fournisseurs d’accès. L’opérateur téléphonique historique n’est aujourd’hui capable de fournir sa télévision qu’à la moitié de ses abonnés. Le taux de couverture national est donc sans commune mesure entre les deux éditeurs. Cependant, comme indiqué en amont, Orange a annoncé que les zones blanches, qui qualifient les endroits qui ne sont pas couverts par l’ADSL en triple play seront comblées par une diffusion satellite. Cette solution résout donc les problèmes de couverture d’Orange.

Quelles que soient les volontés de chacun des acteurs dans le contenu et sa distribution, un élément est constitutif de l’ensemble des stratégies globales :

la convergence. Elle

est effectivement très présente dans l’approche de ces groupes, pour qui le Quadruple Play[123] est déterminant dans les gains de parts de marché. Une fois de plus, Orange fait preuve d’une capacité d’adhérence aux attentes des utilisateurs tout en menant à bien leur entreprise de convergence. En effet, le lancement de chaînes linéaires est accompagnée d’une logique de prolongement du contenu, tant dans le temps que sur les supports. Les films proposés seront accessibles à la demande pendant trente jours après leur première diffusion en direct. Les contenus proposés sur le linéaire seront disponibles à la demande pendant trente jours, ce qui illustre la prise en compte des évolutions des usages, dans la volonté de l’actant médiatique d’être décideur de la temporalité de la réception du flux.

Selon Xavier Couture, « il s'agit d'offrir aux abonnés plus que de la télévision»[124]. L’offre de prolongement des cinq chaînes sur les mobiles Orange, pour un abonnement de 6 euros par mois, relève d’une capacité de l’opérateur à extirper le contenu de son support initial. On peut parler de la fin du dogme du linéaire et d’une prise en compte des différents supports dans l’élaboration d’une offre de contenus.

Cette capacité de réactivité et d’adaptation met en relief la propension des opérateurs à être force de proposition et à s’adapter aux besoins des utilisateurs. La dichotomie avec les éditeurs historiques est prégnante et marque plus encore combien la détention des outils de transport des flux est aujourd’hui déterminante. Les logiques de convergences entre les supports sont au cœur des mutations médiatiques auxquels prennent part des groupes aux stratégies diverses. Après avoir mis en relief les stratégies des acteurs, tant en termes d’éditorialisation qu’en termes de logiques économiques, nous verrons par la suite comment cette implantation peut être pérenne. Nous nous interrogerons sur les perspectives qui s’offrent à ce marché et aux différents acteurs.

C.    FAI: comment pérenniser l'implantation dans le secteur des media

Évoquées en amont, les différentes stratégies des FAI visent à une création de valeur dans un marché ultra-concurrentiel. Nous verrons par la suite comment pérenniser le statut d’acteur médiatique pour les FAI à travers une remontée dans la chaîne de valeur. Enfin, nous nous attarderons sur les perspectives qui s’ouvrent au marché des médias, les risques et opportunités qui en découlent.

1.      Vers une remontée dans la chaîne de valeur sur le linéaire et non linéaire.

La chaîne de valeur initiale prend forme dans la production de contenu, dont découlent l’agrégation des productions, puis

la distribution. Les

opérateurs télécoms appartiennent à l’origine à une autre partie de la chaîne de valeur : les infrastructures réseau et les équipements. L’arrivée du triple play décloisonne ces deux parties de la chaîne de valeur, notamment lorsque les FAI deviennent distributeurs de flux linéaires et non linéaires. Lorsque NeufVOD crée sa propre boutique VoD et compose des bouquets de chaînes, elle met un pied à l’étage supérieur : celui de l’agrégation de contenus. Entre l’agrégation et la production de contenu, il y’a la création de chaînes de télévision qu’Orange matérialise à travers ses différentes chaînes. En investissant dans le contenu et sa production, Orange complète sa présence dans l’ensemble de la chaîne de valeur, ce qu’aucun autre éditeur ou acteur de marché médiatique n’avait réussi jusqu’ici. En effet, afin de fournir une partie des contenus des nouvelles chaînes, Orange a agrémenté ses achats de catalogue du lancement d’une société de production de cinéma français : Studio 37. C’est l’expression d’une implantation sur la totalité des champs que les éditeurs de chaînes ont pour coutume de gérer. Le groupe télécom, mué par une zone de flou juridique, en a profité pour investir des marchés dans des proportions qui sont refusées aux éditeurs de chaînes.

Cela explique comment les opérateurs historiques ont envisagé leur introduction sur le marché des médias. Cette vision globale qui les accompagne se différencie de celle des éditeurs historiques pour qui le marché qui les concerne est celui du contenu. Les problématiques de convergence ont pris forme chez les FAI. Bien qu’elles relèvent probablement d’une dimension mercantile à travers la possibilité d’étendre ses perspectives économiques à d’autres marchés, elles sont constitutives d’une adhérence aux attentes des utilisateurs, pour qui la convergence représente un certain nombre d’avantages.

2.      L’interactivité et la webisation[125] des supports

La pérennité des FAI dans l’édition de contenus passe par un renforcement des principes d’adhérences aux évolutions des usages. Les lacunes des FAI à palier relèvent de l’écart des usages entre le web et la télévision, car même si cette dernière bénéficie toujours de la primauté des usages en matière de confort, elle doit être au cœur du développement.

Si l’on retrouve encore aujourd’hui au sein d’une boutique VOD la loi de Pareto, c’est qu’il subsiste des différences d’usages entre les deux supports. La facilité d’utilisation de l’ordinateur n’est pas encore égalée. La navigation y est instinctive, infinie, libre et répond à des comportements salvateurs en terme de centralisation du faire-réceptif dans l’énoncé. La télécommande répond à un certain nombre d’exigences en termes d’usages et semble anticiper des évolutions mais elle souffre de la comparaison avec

la souris. La

rapidité d’exécution, la variété de l’espace disponible (cliquable) et la variété de typologies énonciatives (textes, vidéos, sons) sont inapprochables par la télécommande pour l’instant en ce qui concerne le confort d’usage. L’architecture d’une télévision avec voie de retour, comme c’est le cas de

la boutique VOD

aujourd’hui ne répond pas aux usages développés sur le web. Il n’existe à ce jour aucune solution technologique qui pourrait reprendre les usages injonctifs de l’ordinateur. Récemment, seule la Wii de Nintendo a su reproduire ces dits usages sur la télévision, avec succès.

En terme de positionnement intellectuel, la télévision est encore le medium d’un faire-réceptif passif, déterminé par des années de « diktat éditorial ». Le web a libéré le faire-réceptif du joug de la non-expression intellectuelle, composante de la consommation de télévision. Les usages de la télévision sont encore imprégnés de ces décennies d’un medium dominant, dont l’échange avec le faire-réceptif tient plus d’un rapport dominant-dominé, comme le souligne Missika que d’un rapport d’échange discursif. C’est donc la raison pour laquelle les usages du web auront besoin d’un temps de latence pour pouvoir s’appliquer pleinement sur

la télévision. L

’interactivité peut, à terme, rassembler certains usages des deux supports, la télévision et l’ordinateur.

L’attribut interactif sera celui qui permettra au support télévisuel de dépasser son statut originel, celui d’un rapport d’un signal émis en direction d’une multitude de récepteurs. La personnalisation des échanges entre émetteur et récepteur permettra l’assimilation des outils interactifs. La connaissance de l’utilisateur dans ses préférences d’utilisation, ses loisirs, ses contenus préfères laisse envisager une monétisation du support télévisé. Il serait logique que les opérateurs profitent des informations concernant les utilisateurs pour concevoir des espaces commerciaux en rapport avec les attributs de chaque consommateur. Le groupe anglais Sky, éditeur de chaînes a préempté ce type d’opérations en attribuant des bandeaux publicitaires cliquables à des annonceurs, qui offraient au client des offres promotionnelles, ou lui permettaient de faire des paris en direct. Le prolongement de l’espace discursif vers un espace alternatif non continu soumis aux injonctions de l’utilisateur rappelle les usages du web.

Si l’interactivité se doit d’être si centrale, c’est tout d’abord parce qu’elle illustre une transposition des usages du web, comme explicité en amont, mais surtout parce qu’elle sera à terme le nerf de la guerre entre éditeurs historiques et FAI. Elle laisse présager de nombreux développements économiques. La libéralisation des jeux d’argent, jusqu’ici monopole de la Française des jeux laisse entrevoir des opportunités quant aux paris en ligne. L’idée est de proposer au téléspectateur la possibilité de parier en direct sur un contenu qu’il visionne de façon linéaire.

L’interactivité doit servir la personnalisation des rapports entre le faire-émissif et le faire-réceptif. Elle doit être le lien entre les usages du web et ceux de

la télévision. En

effet, elle profite de la capacité de la télévision à drainer des masses de population autour d’un énoncé linéaire en y ajoutant des usages typiques du web, le vote, le pari, l’interactivité en somme. Elle sera aussi une source non négligeable de revenus puisqu’elle sera une fenêtre à laquelle l’utilisateur aura accès via le linéaire, avec la mise en place d’un pop-up, laissant ainsi la possibilité de monétiser cet espace comme un support publicitaire, de valeur puisque le boitier ADSL, dispose d’une voix de retour permettant d’interagir avec le supposé client.

Vecteur de recentralisation de l’utilisateur dans l’énoncé, l’interactivité offre la possibilité d’interagir avec le programme, d’avoir le sentiment de discontinuer la linéarité du programme en votant, en donnant son avis en direct. L’interactivité rapatriera le faire-réceptif lassé de l’unilatéralité du rapport avec le faire-émissif. Elle sera déterminante dans l’évolution des usages, puisqu’elle pourrait à terme être le dépositaire d’une autre transposition d’usage : le jeu vidéo. Le groupe Vivendi est détenteur de SFR mais aussi de Vivendi Games, numéro deux mondial du jeu vidéo. Le jeu vidéo, dont le chiffre d’affaires mondial dépasse aujourd’hui en France celui du cinéma est révélateur de la centralisation du « moi » au sein de l’énoncé. Les interactions entre le support et ce type de contenu laissent envisager le franchissement d’un pas supplémentaire dans les convergences de groupe.

Seulement, si ce type de rapprochement entre supports et contenus paraît aujourd’hui farfelu, il est nécessaire de se poser la question de la future place de la télévision dans le schéma domotique moyen. La télévision est toujours perçue comme une forme de culture de consommation à la fois domestique et nationale, privée et publique. Seulement, l’agrandissement progressif des écrans d’ordinateur présuppose un confort meilleur et pose la question de son emplacement au sein du foyer. Poser les jalons de la convergence entre les supports et le contenu, et permettre une implication de l’usager dans le rapport communicationnel avec la télévision doivent être les leviers de contrôle par les FAI de l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’équipement à

la production. La

valorisation financière des contenus et de ses supports passe par une maîtrise des réseaux de distribution.

Si l’ordinateur venait à supplanter la télévision au centre des usages domestiques, il s’agirait d’une redistribution des cartes qui impliquerait l’ouverture du marché à d’autres acteurs, éventuellement encore moins issus du contenu. La donne changerait radicalement pour les FAI pour qui la détention des réseaux en circuits fermés façonne la primauté de l’offre. Des entreprises comme Carrefour ont semble-t-il fait le pari d’une évolution des usages domotiques. Le lancement d’une offre VOD de la part du deuxième groupe de distribution au monde suscite quelques interrogations quant à l’avenir de l’édition de contenus. Si les opérateurs télécoms se sont appuyés sur leurs réseaux pour s’emparer des circuits de diffusion et imposer leur stratégie de « devenir medium », qu’en sera-t-il si le marché s’ouvre à des nouveaux venus, moins rompus encore aux joutes du marché, mais forts d’un capital financier extraordinaire.

3.      Après les réseaux, les terminaux ?

S’intéresser à la place de la télévision ou de l’ordinateur à terme pose la question des terminaux. Julien Billot, directeur général Numérique chez Lagardère Active estime que « dans la chaîne de valeur de la distribution de contenus, l’accès au terminal et à ses logiciels devient un élément critique pour les groupes de contenus ».[126] La portabilité du contenu sur différents supports s’érige en vecteur de développement incontournable. CanalPlus a développé par exemple une ‘clé usb’[127] qui permet de recevoir le bouquet de chaînes n’importe où, n’importe quand. À l’observation de l’évolution du marché de la musique, l’arrivée des terminaux sur le marché du contenu doit être envisagé. Julien Billot affirme que « le nouveau champ de bataille se déplace dans la distribution des contenus des réseaux vers les terminaux. » L’irruption sur le marché de la VoD d’un acteur comme Microsoft à travers sa Xbox360, console de jeu vendue à des millions d’exemplaires devrait inquiéter les opérateurs télécoms. La centralisation de l’utilisateur dans l’énoncé par ce type de terminaux est exemplaire.

Ni les opérateurs télécoms ni les éditeurs historiques de télévision n’ont su aussi bien que les fabriquants de console faire de l’utilisateur un « héros » de l’énoncé. La capacité financière de ces groupes mondiaux renforce la menace qui pourrait peser sur les opérateurs télécoms, pour qui la détention des réseaux est l’élément fondateur du développement vers un « devenir medium ». La capacité des terminaux dits « consoles » à rendre le rapport communicationnel si impliquant rend l’offensive plus menaçante encore pour deux raisons. La première est qu’elle favorise davantage de liberté injonctive sur l’espace écranique. La seconde est que ces terminaux s’adressent à des utilisateurs pour qui les usages entre consoles et ordinateur sont complémentaires. Chacun comble les déficits de l’autre support. Il convient d’ajouter que les consoles de jeux s’adressent à des populations certes jeunes, mais dont la cible ne cesse de s’étendre en terme d’âge. Le 30 octobre 2008, Gong Video, éditeur et distributeur de films d’animation japonais annonce la mise à diposition de ses contenus sur l’Ipod et l’Iphone, terminaux du groupe Apple. Un signe supplémentaire que des groupes mondiaux commencent à investir le marché du contenu par le biais de leurs terminaux.

4.      Les éditeurs historiques : quelles parades ?

Les perpectives établies ci-dessus font fi des éditeurs historiques. La réalité est que la détention des réseaux et son exploitation avec des visées éditoriales est en train de bouleverser le marché des éditeurs de contenus. La question des terminaux exclut les éditeurs de chaînes des hypothèses de développement. La remontée dans la chaîne de valeur perturbe actuellement les acteurs historiques, d’autant plus que leurs contraintes sont aujourd’hui plus restrictives que celles des nouveaux entrants. Les éditeurs historiques ne sont pas au bord d’un précipice sans fond, ils sont simplement en train de perdre progressivement la primauté de leur position longtemps dominante, qu’avait déjà entamée la TNT.

Si les « best sellers »[128] perdent de leur emprise, leur influence reste sans pareil. Ils la doivent à leur nature de servir de base à une culture collective autour de laquelle peuvent se former des marchés plus pointus. Les micros niches n’ont de raison d’être qu’en la présence d’une cible de masse, puisqu’elles s’apparentent en partie à une forme de contournement politique et à des réflexes identitaires dits de communautés. Les éditeurs historiques n’ont pas su voir la montée en puissance d’une alternative médiatique, celle de

la non-masse. Cela

ne les empêche pas d’être encore les détenteurs de contenus destinés à la masse, ceux-là mêmes qui façonnent une culture commune à une majorité d’habitants d’un pays. « Si vous vous limitez aux niches, le client ne saura pas par où commencer pour faire son choix puisqu’il ne connaît aucun des articles proposés. Les produits situés vers la tête servent de phares» selon Andersen.

Les opérateurs historiques ont innervé le marché de l’édition et de distribution de contenus, mais les logiques ultra-concurrentielles qui s’y apposent limitent leur diffusion. Cela corrèle les velléités des opérateurs à allier détention des réseaux de distribution et diffusion de contenus exclusifs. Le principe de distribuer en circuit fermé, s’oppose à la logique de masse inhérente à la notion de medium populaire. Il ne faut pas occulter le fait qu’en dépit du développement des nouveaux réseaux TNT, ADSL et mobile, qui tous accueillent des offres élargies de télévision payante, câble et satellite demeurent les supports privilégiés des offres de télévision payante multichaînes avec 85 % de part de marché.

Dans un contexte où l’interactivité répondrait aux stratégies de développement de l’ensemble des acteurs de la diffusion de contenu, les éditeurs historiques doivent profiter de l’apathie actuelle pour jouer un rôle majeur dans le futur. Sky, éditeur de chaînes au Royaume-Uni illustre la véracité de la ‘prime au premier entrant’. En effet, Sky s’est appuyé sur la détention du contenu pour éditer des espaces alternatifs ou complémentaires à la diffusion dans lequel l’utilisateur pouvait parier, jouer, acheter,...Le groupe a déjoué les positions dominantes des opérateurs-agrégateurs de chaînes.

Le deuxième point sur lequel doivent se concentrer les éditeurs historiques réside dans l’étirement du programme linéaire vers d’autres supports. « Dans un pays anglo-saxon », explique ainsi Pascal Josèphe, président de l'International Média Consultants Associés (IMCA), « un programme de "Thalassa" sur Madère permettrait, en un seul clic sur le site de l'émission, de réserver un billet d'avion, un hôtel, et de se renseigner sur les activités à faire sur l'île... On en est loin en France. »[129] Soumises à des logiques de séduction dans les rapports qu'elles tissent avec leurs publics, les chaînes seront amenées à approfondir et innover. La place accordée au public dans les mises en scène des messages audiovisuels suit la voie d'un enrichissement et Internet devient un moyen incontournable de cette stratégie salvatrice. Hélène Duccini explique dans La Télévision et ses mises en scène : "la «néotélévision» a désormais pour objectif essentiel de créer une relation avec le téléspectateur."[130] Cette relation se traduit par une interactivité entre l'émetteur et le récepteur au moyen d'un autre mode d'émission et de réception, lorsque le téléspectateur devient "multimédiacteur" ou "télénaute ». « le téléspectateur accède à un nouveau statut, il devient acteur à part entière du programme audiovisuel, il exerce un pouvoir que la chaîne a consenti à lui laisser. »(ibid). Que TF1, co-producteur et distributeur du film au succès historique Les Ch’tis, lance en parralèle l’édition DVD et une édition numérique sur le net à 12,99€ (visionnable à volonté) marque une rupture avec le passé. Il s’agit dans ce cas d’une prise en compte de la diversité des diffusions et des consommations d’un contenu.

Seulement, le point d’achoppement majeur pour les éditeurs historiques réside dans le fait que les coûts de grille ne cessent de baisser, comme leurs audiences. Il ne semble pas être dans l’air du temps du côté des directions de ces chaînes de se lancer dans l’interactivité ou dans une moindre mesure dans une recentralisation de l’actant au sein de l’énoncé.

Afin de pérenniser l’émergence des FAI dans le marché des media, il est primordial d’accompagner leurs stratégies globales d’une valorisation qualitative des contenus édités. La volonté de remonter la chaîne de valeur ne doit pas se faire sans garder à l’esprit ce qui a fait la réussite des FAI, à savoir l’adhérence utilisateur. La satisfaction des abonnés aux bouquets de chaînes n’est pas optimale à ce jour. Certes, les FAI sont restreints par des exclusivités auxquelles ils n’ont pas accès, mais ils doivent perdurer dans leur adhérence client. Il semblerait utile dans la composition du bouquet de faire valoir les avis des abonnés autant que les audiences dans la sélection des chaînes. Les FAI doivent continuer à opter pour le post-filtrage, cher à la logique de la longue traîne, plutôt que le préfiltrage, cher à tous les éditeurs de contenus de masse, pour qui la connaissance de l’utilisateur semble à tort innée. Le point d’achoppement pour les FAI serait de reproduire les schémas des éditeurs historiques à l’égard des faire-réceptifs, et d’avoir le sentiment de comprendre instinctivement les besoins des utilisateurs. Les FAI doivent se confronter aux problématiques inhérentes à la pérennité de leur incursion dans le monde des media.

La partie suivante, qui clôturera ce travail se penchera sur les limites de la télévision par les FAI. En substance, cela dessinera les contours des acteurs historiques et montrera le rôle essentiel de la linéarisation et de la médiation en tant que socle commun à la société.

D.    La démédiation ou les limites du « devenir medium »

Les FAI ont su valoriser leurs connaissances des usages dans le cadre d’un « devenir medium ». L’intégration progressive d’outils d’éditorialisation, l’affranchissement des éditeurs historiques, l’utilisation à leurs profits de leurs propres réseaux de distribution, la création de valeur, les innovations au service des utilisateurs, et pour certains acteurs des créations de chaînes et des obtentions de droits premium, tous ces éléments ont participé à la mutation d’un détenteur de tuyaux vers un éditeur de contenus.

L’adhérence aux évolutions des usages a démontré la capacité des FAI à comprendre les changements de consommation de media et parfois à les anticiper. L’abord de l’actant médiatique selon un éditeur ou un FAI s’est révélé bien différent. De façon caricaturale, les éditeurs historiques ont perçu leur propre marché comme une offre créant la demande, pendant que les FAI, nouveaux entrants, ont favorisé la demande, centrale dans la création de l’offre.

L’objet de cette partie sera de montrer en quoi les stratégies des FAI de « devenir médium » sont limitées par plusieurs paramètres comme le périmètre de diffusion et l’absence de médiation. Enfin, nous nous attacherons à pointer les conséquences d’une dilution du media télévisuel à travers la profusion de l’offre.

1.      Périmètre de diffusion et acception médiatique

Il était inenvisageable il y’a quelques années de mettre sur un pied d’égalité un éditeur de contenu linéaire et un FAI. Si cela est possible aujourd’hui, il ne faut pas pour autant occulter les éléments qui séparent les FAI d’une acception médiatique.

Le premier facteur d’acception médiatique est la disponibilité du médium. Un medium, par essence, est médiateur entre l’émetteur et le récepteur. Le faire-réceptif, même s’il peut être apparenté à une cible en terme marketing, doit être dans la possibilité d’accéder au médium. Deux éléments empêchent aujourd’hui les FAI d’être disponibles partout. Tout d’abord, la logique qui prévaut est celle d’une guerre frontale entre les acteurs du marché de diffusion de contenus. À la lumière

de ce

paramètre, il est plus aisé de comprendre pourquoi les services éditorialisés qui voient le jour progressivement sont considérés par leurs créateurs comme exclusifs, voyant là un moyen de conquérir de nouveaux clients. Seul Numéricâble a permis une distribution de sa chaîne MCS à d’autres opérateurs télécoms.

Le deuxième élément est endogène au système de circulation des flux des FAI. Il s’agit ici de circuits de distribution fermés, auxquels n’ont accès que les abonnés. Peut-on par conséquent parler d’un médium de masse lorsque l’accès à l’information est réservé aux seuls abonnés ? La création de chaînes opérée par Orange peut ainsi être soumise à la question de l’objectif poursuivi : relève-t-il d’une volonté de « devenir medium » ou n’est-ce simplement qu’un argument de conquête de parts de marché ? Thierry Dahan, rapporteur du conseil de la concurrence stigmatise cette tendance : « Les problèmes apparaissent lorsque l’exclusivité descend jusqu’à l’étage du transport[…]. C’est le trop fameux effet de levier qui permet de gagner des clients, non pas sur ses mérites propres mais grâce à un pouvoir tiré du monopole ».[131]Cela permet de mettre en perspective les ambitions de valorisation boursière et d’accroissement de parts sur un marché bientôt arrivé à maturation. Il est tout à fait imaginable que cette diffusion en circuit fermé déséquilibre le marché et qu’il soit à terme un frein à l’ancrage de l’opérateur sur celui-ci.

La mise en perspective de cette diffusion en circuit fermé pose la question de l’espace-temps public. La télévision avant qu’elle ne subisse la délinéarisation de ses contenus était légitimement érigée en espace public. Nous avons assez pointé ses manquements en amont pour concéder que ce media populaire a la capacité de drainer de larges pans de la société sur un même flux. Ce media est celui dont l’espace-temps rassemble le plus. Sa mise à disposition est essentielle puisqu’elle favorise la création d’une culture commune à

la société. Quand

les autorités étatiques obligent la diffusion d’une technologie (TNT) à tout le territoire, c’est que ce media est un élément fondateur de débat public. Si seuls les éditeurs décidaient de la population à équiper, il faudrait imaginer une diffusion de la technologie en fonction des intérêts économiques.

L’émission et la réception en circuit fermé par les FAI va à l’encontre

de ce

qui définit un medium. L’émission d’une information et sa réception est destinée à être partagée par la population la plus importante. Même si Canal+ a le premier occulté sa diffusion à une population non abonné, cela ne représentait qu’une partie du temps de diffusion total. La partie « en clair » devait donner envie au non abonné de s’abonner, à travers la valorisation d’une image de marque.

La détention d’une partie des réseaux semble avoir fait oublier la notion de media aux FAI. La nécessité pour la structure sociale d’un espace commun ressurgira. L’appétence pour des sujets référents, accessibles à tous ne risque pas de s’amenuiser au point que seuls des abonnés au même opérateur puissent avoir les mêmes références. La propension des FAI à considérer la télévision et les contenus comme de simples vecteurs de développement économique risque de leur porter préjudice dans le sens où le média est un pilier du pluralisme dans une société démocratique. La rétention à outrance de l’information dans un périmètre restreint risque de mettre en branle un des pivots de la structure sociale.

2.      Mise à disposition et médiation

Devenir médium signifie également créer de la valeur éditoriale, et ce de façon régulière. Une mise en avant de contenus relève d’une éditorialisation. Idem pour un choix de chaînes dans un bouquet, surtout eu égard aux attentes des utilisateurs. En fait-ce un medium pour autant ?

Un medium est créateur de contenus. Quel est aujourd’hui le meilleur moyen pour être créateur de valeur en tant que FAI et profiter des avantages liés à la détention des réseaux ? La création de chaînes, comme l’ont bien compris Numéricâble et Orange. Elle est une forme d’aboutissement, comme la remontée dans la verticalité de la chaine de valeur le suggérait en amont, avec la production de contenus en amont. Cependant, les chaînes créées par ces opérateurs sont soit événementielles soit «

de stock

». L’acquisition de droits de football est indispensable à MCS et à OrangeFoot. Établir une ligne éditoriale, donner un sens à l’agrégation de contenus, colorer la chaîne à travers un ton, cela est indispensable à l’acception d’un medium.

Rendre pérenne la mutation vers un « devenir medium » passe par un engagement vers la qualité éditoriale. Certes, les FAI ont opté pour une stratégie de valeur et ont à maintes reprises fait preuve d’une forme d’empathie « utilisateur ». Cependant, l’acception médiatique n’est possible quand dans le cas où le contenu est qualitatif. Car, si les FAI ont su anticiper certaines évolutions des usages et se rapporter à d’autres pour construire leur offre, il ne leur faut pas oublier combien les actants médiatiques ont fait preuve d’esprit critique à l’égard des médias historiques. Les générations nées avec la télévision comme celles nées avec Internet sont celles dont l’esprit critique semble être le plus fort. Les critiques sont généralement pertinentes, et sont d’autant plus problématiques qu’elles s’expriment librement sur des espaces d’échange entre utilisateurs. Pour exemple, Orange et son offre Ligue 1 n’a disposé que d’une audience de 10 000 personnes pour le premier match retransmis en août 2008.

La Fédération Française

de Football a demandé à la production de l’opérateur télécom d’augmenter la qualité du rendu, les téléspectateurs étant habitués à des diffusions de très bonne qualité avec CanalPlus ou TF1. Par conséquent, la direction d’Orange envisage un enrichissement de la chaîne via la production de reportages et magazines destinés à agrémenter le contenu premium d’un habillage éditorial. C’est le signe que l’opérateur réalise que créer une chaîne n’est pas aisé. C’est le fruit d’un long travail visant à agrémenter la chaîne de contenus de valeurs. Il ne s’agit pas seulement de la diffusion du contenu premium de façon brute.

De plus, le fait que l’offre soit disponible dans une offre fermée rend confuse l’accessibilité au service, Xavier Couture estime qu’il faut un temps d’adaptation à l’offre. Que le nombre d’abonnés (déçus) à l’offre soit si faible en ce début de diffusion montre combien l’acception médiatique n’est pas automatique. Elle suppose un savoir-faire, une expérience.

La combinaison d’une qualité éditoriale insuffisante et d’une accessibilité réduite est rédhibitoire dans la logique de « devenir medium ». De plus, la télévision des FAI ne peut exister que grâce au medium de masse qu’est

la télévision. La

prise en compte des mini segments dans une logique de remontée de la chaîne identitaire de l’individu est un bienfait puisqu’elle s’adosse aux besoins énonciatifs de l’utilisateur. Ajoutée à cela la réduction de périmètre de diffusion et vous n’obtenez qu’une télévision de minorité.

Les éditeurs historiques et les Fai doivent comprendre que les logiques de niche et de masse ne sont pas opposées mais complémentaires, puisque c’est une composante aussi importante de l’individu médiatique, dans son besoin d’une base culturelle identitaire.

La centralisation du « moi » dans le dispositif médiatique pose la question de la dimension sélective de l’information. Avant la fragmentation intensive des audiences, le récepteur du flux déléguait à la télévision la responsabilité de préfiltrer l’information. Basée sur la confiance, cette relation était le dépositaire du jeu médiatique, avec les excès que cela comporte. Il demeure que cette délégation implicite des pouvoirs façonne des repères pour tous. Le filtrage effectué par un certain nombre de média de masse est une sorte de boussole dans la compréhension des enjeux sociétaux et politiques. Le filtrage crée une grille de lecture compréhensible par tous.

La dilution du flux émissif dans une masse réduit considérablement sa portée. Le télécom, agrège et édite des contenus, compile des films et commente des matchs et par conséquent se considère en média. Mais on peut s’interroger sur la dilution des rapports médiatiques, dans le sens où le rapport communicationnel est médié. Le principe de réserver l’accession au flux aux seuls abonnés à une offre d’un autre ressort (accès à internet) va à l’encontre de la dimension médiatique. L’acception du medium par la société veut qu’il soit celui qui sélectionne et valide les informations qui intégreront le flux émissif. La société a besoin de repères érigés par la masse, ce qui sous-tendrait que la micro niche n’est qu’une composante de la personnalité médiatique d’un individu, mais en aucun cas sa définition première.

3.      Vers une dilution du socle commun ?

Nous avons vanté en amont la capacité des FAI à remonter la chaîne identitaire d’un individu médiatique par le biais de la prise en compte des micro-segments. Nous évoquerons ici les conséquences d’une fragmentation totale de la télévision.

Le premier point qui mérite qu’on se penche sur la fragmentation des flux émissifs concerne la désynchronisation médiatique. La délinéarisation réduit la portée du débat public autant qu’elle conforte chacun dans ses avis. La notion de forum démocratique télévisuel perd de son sens lorsque les flux principaux sont noyés dans une multitude de flux concurrents. Bien que les éditeurs historiques soient obligatoirement repris sur tous les supports de diffusion, la délinéarisation tend à déstabiliser les fondements du socle commun.

De son côté, Missika estime que la même « si les télévisions ont réussi le pari de banaliser l’accès à l’émission du flux et l’égalisation des statuts, l’individualisation des rapports communicationnels est en train de diluer le rôle central de forum des sociétés démocratiques »[132]. Quel univers médiatique s’offre à nous ? La centralisation du « moi » dans l’énoncé met-elle en péril le socle commun à toute la société ? Ce socle qu’est la télévision est d’autant plus important quand on se réfère à la propension de chacun à assimiler et filter les informations comme il l’entend. Tant que cela est ancré dans un contexte où le socle commun oblige tout à chacun à échanger, cela coïncide toujours avec la notion de forum.

Il faut imaginer que la dilution d’un socle commun soit sous tendue par une régénération du dispositif médiatique. Nous avons évoqué en amont la pyramide de Maslow. Les deux derniers étages sont ceux de l’estime et de la réalisation de soi. La capacité des communautés sur Internet à répondre à ces deux sentiments ne sont que partiellement vrais. La participation à l’énoncé et l’inscription dans un dispositif communautaire répond à ces besoins. Mais on peut s’interroger sur la pérennité de ces sentiments. Ancré dans un micro espace, derrière un écran, avec l’utilisation d’un pseudonyme, l’actant médiatique peut-il satisfaire complètement son besoin d’estime ? Certes, il est galvanisant d’échanger et d’être maître de son propre énoncé. Il faut évoquer que la réalisation de soi est un sentiment humain qui justifie une reconnaissance. Ne vivant pas dans un monde dématérialisé, le regard de l’autre est invariablement corrélé à la réalisation de soi. La perte d’un espace public aussi grand que la télévision ne saurait satisfaire les desiderata de beaucoup d’exister à travers son prisme déformant et grossissant. Même si le web est capable de produire ses « référents », la télévision est le medium qui fédère tous les éléments essentiels à l’érection d’un individu au-delà de son statut originel.

Il ne faut pas pour autant en conclure la fin prochaine du besoin de l’actant d’être plus central et libre dans le dispositif médiatique. Il faut plutôt envisager une forme de complémentarité entre processus de décentration et de centration des rapports communicationnels. L’avenir de la consommation de media ne peut se concevoir que dans un partage de l’actant médiatique entre un medium de moins en moins passif avec l’arrivée prochaine d’outils interactifs et un medium au déploiement conditionnel nécessitant une activité. Ces deux typologies énonciatives se nourrissent l’une et l’autre et sont en partie aujourd’hui dépendante l’une de l’autre. Un intitulé ne saura exister seulement sur un seul de ces deux media. Par extension, Il faut également envisager la combinaison des appétences de masse et de micro-niches, puisque un accès médiatique partiel ou une hégémonie de quelques media de masse ne sauront satisfaire un individu médiatique devenu bien complexe.


Conclusion

Nous nous sommes interrogés sur la qualité de « devenir medium » du FAI par le biais d’une stratégie d’adhérence aux nouveaux usages médiatiques. Le déroulement

de ce

travail de recherche a permis de montrer et d’analyser les points qui sous-tendaient une transformation médiatique

de ce

nouvel acteur du marché. Il était d’abord question de montrer comment la diffusion du media internet a modifié les rapports communicationnels entre émetteur et récepteur. L’incursion tardive des éditeurs télévisuels sur ce médium n’a pas suffi à circonscrire la baisse de consommation de la télévision et la montée en puissance des consommations convergentes. La dimension de contournement des médias historiques est un des corolaires de la démocratisation des usages liés à Internet. Nous avons pu décrire dans ce travail de recherche comment la compréhension de ces usages révélés sur Internet a permis au FAI d’établir des principes d’approches du client dans une logique de stratégie de valeur. La transposition des usages inhérents au web découle d’un double objectif. Tout d’abord capitaliser sur les bénéfices d’usages ressentis par l’utilisateur et ensuite rééquilibrer le marché des médias. Ce rééquilibrage a permis de révéler la primauté de la détention des réseaux sur la création de contenus. Il a eu pour clé de voute une aspiration à la délinéarisation et au contournement du flux linéaire. Ainsi, la somme des avantages proposés a soudainement placé la télévision et ses éditeurs dans une situation instable. La capacité à remonter la chaîne identitaire de l’individu médiatique s’est démarquée de l’apathie énonciative des éditeurs historiques. De surcroît, la capacité à recentrer l’utilisateur au sein du dispositif énonciatif sur la télévision a découlé d’une prise en compte des évolutions de ses besoins.

Par la suite, nous avons cherché à comprendre les raisons de cette stratégie d’adhérence aux nouveaux usages médiatiques. Il n’a guère fallu de temps pour comprendre que cette stratégie fut motivée par des logiques économiques d’envergure. Le contenu nous est apparu comme le nerf de la guerre, puisque décisif dans les gains de parts de marché. La mise en perspective contextuelle des stratégies des acteurs principaux a permis de comprendre l’évolution du marché à travers une oscillation entre collaboration et concurrence. Ainsi, la remontée de la chaîne de valeur d’un acteur comme Orange laisse imaginer des orientations stratégiques que nous sommes impatients de vérifier.

Le déroulement

de ce

travail a permis de comprendre comment l’éditorialisation de contenus, l’agrégation de chaînes et d’autres services ont permis de façonner une identité médiatique au FAI. Seulement, la troisième partie a révélé que cette identité n’est que partielle. Les hypothèses de départ ont été en partie écornées par les insuffisances de l’IPTV. L’utilisation des termes « devenir medium » dans la problématique a pris tout son sens. D’après le Petit Robert « Devenir, c'est passer d'un état à un autre, commencer à être ». Les faiblesses éditoriales et identitaires des FAI dans leur postulat médiatique corroborent la dimension du « commencer à être media ». Son acception médiatique s’heurte donc à la restriction de son périmètre de diffusion de ses services éditorialisés, à sa faible dimension de sélectionneur de l’information. L’insuffisante valorisation éditoriale est un point d’achoppement majeur dans cette évolution. Les responsabilités qui sont implicitement incombées aux média n’ont pas encore trouvé écho chez les FAI. Il faut cependant pondérer ces analyses par la combinaison d’inexpérience et de stratégies éditoriales en amorce.

Les limites actuelles des FAI vers un « être medium » doivent permettre de poser les questions de l’avenir du marché des media.

La télévision en tant que support semble vivre une deuxième jeunesse. Plusieurs éléments risquent de faire converger vers une fortification de ses bases, que seul un déplacement des usages relatifs à la télévision vers l’ordinateur, catalyseur de la majorité des nouveaux usages médiatiques saurait remettre en cause. Si l’ordinateur venait à supplanter la télévision au centre des usages domestiques, la donne changerait radicalement pour les FAI pour qui la détention des réseaux en circuits fermés façonne et légitime l’offre. Des entreprises comme Carrefour, Microsoft ou Apple ont, semble-t-il, fait le pari d’une évolution des usages domotiques. Le lancement d’une offre VOD de la part du deuxième groupe de distribution au monde suscite quelques interrogations quant à l’avenir de l’édition de contenus. Si les opérateurs télécoms se sont appuyés sur leurs réseaux pour s’emparer des circuits de diffusion et imposer leur stratégie de « devenir medium », qu’en sera-t-il si le marché s’ouvre à des nouveaux venus, moins rompus encore aux joutes du marché, mais forts d’un capital financier extraordinaire. Cela laisse-t-il présager une excroissance de la vente de contenus immatériels sur des points de ventes matériels, à travers des mécanismes d’échanges nouveaux, comme le mobile saura bientôt le proposer avec la lecture de codes barre sur des espaces publicitaires physiques ?

La linéarité discursive, propre à l’édition de chaînes semble être, pour le moment du moins à la merci d’une évolution globale des usages qui se joue entre les détenteurs de livraison des flux. Ces opérateurs ont su coller aux évolutions sociologiques en termes d’attentes et d’usages.

Le principe de décentration cher à Peraya est au cœur de ces évolutions médiatiques. Il faut envisager le marché de l’émission de flux comme un mélange entre contenu de valeur et centralisation de l’individu au cœur de l’énoncé. Le support télévisuel doit envisager la combinaison de ces deux prérogatives, la masse et

la micro-niche. Ces

deux cibles doivent être envisagées différemment mais avec la même importance stratégique, puisque l’individu médiatique est susceptible de se confondre dans cette schizophrénie énonciative. La personnalisation des rapports communicationnels doit être le prisme au travers duquel les acteurs du marché doivent entrevoir l’avenir. Accepter de responsabiliser l’actant médiatique, de comprendre ses choix, de s’affranchir de l’unilatéralité des échanges communicationnels propres au passé, voilà les axes de progrès auxquels doivent s’atteler les éditeurs historiques.

De leur côté, les FAI ont l’obligation de faire perdurer leur stratégie de valeur, d’adhérence aux usages. La distribution en circuit fermé ne semble pas répondre à ce type d’exigence puisqu’elle est restriction et fait ressurgir à nouveau un déséquilibre entre l’émetteur et le récepteur. Il convient à tous les acteurs d’adhérer aux usages qui s’apparentent à une responsabilisation du faire-réceptif à travers l’interactivité et la personnalisation des rapports. Pour les FAI qui veulent s’ériger en medium à part entière, nous devons imaginer qu’il leur sera nécessaire de donner un ton, une couleur, un style à leur éditorialisation. Il leur faudra sans doute composer avec la nécessité de médier le rapport communicationnel sans pour autant rogner la liberté nouvelle de l’utilisateur au sein du dispositif énonciatif.

Si les FAI et les éditeurs continuent de concert à favoriser la délinéarisation des flux, on peut s’interroger sur la pérennité de l’espace public télévisuel. La logique de niche doit elle être un substitut ou plutôt un complément ? Nous estimons ici que la logique de niche et de masse sont complémentaires puisqu’elles se nourrissent mutuellement. Elles répondent à des besoins différents mais sont indissociables dans le tissu médiatique. Les usages et l’accessibilité des media internet et télévision ne peuvent se départir l’un de l’autre. Bien qu’il paraisse essentiel de cerner les conséquences des mouvements du marché sur la société, il faut bien admettre que cela n’est évidemment pas au centre des intérêts des groupes médiatiques et qu’il faut, à priori, se résoudre à observer une lutte dont la notion civile semble exempt.

D’un point de vue économique, on peut s’interroger en ces temps de crise sur la pérennité des offres payantes, l’opérateur anglais Sky[133] prévoit une baisse de 40% des abonnements dans les mois qui viennent. Certains voient dans la crise des opportunités économiques, spéculant sur une réduction de certains postes de dépenses, au profit de la consommation de télévision. Faut-il envisager une restructuration du marché qui découlerait de cette crise, avec une réduction des dépenses mais une augmentation de la consommation ? Quelle que soit la portée de cette crise économique, on peut se poser les questions suivantes: quel sera le meilleur équilibre à adopter entre les contraintes éditoriales imposées par l’évolution des usages et les contraintes économiques à venir ? Quelle sera la pérennité de l’adhérence aux évolutions des usages ? De plus, dans quelle mesure la portabilité des contenus peut-elle déréguler l’offre audiovisuelle au point que les terminaux puissent jouer un rôle déterminant à l’avenir ? Enfin, il faut s’interroger sur la notion d’espace public télévisuel. Ce forum est un pilier de la vie en société et même s’il ne répond pas à entièrement à l’évolution des usages, il n’empêche qu’il est encore le seul à drainer autant d’audience de façon synchronisée.

Il sera évidemment complexe d’imaginer un équilibre entre décentration, centralisation de l’individu au sein du dispositif énonciatif, nécessité de socle commun, tout cela sous-tendu par des logiques économiques d’envergure.


BIBLIOGRAPHIE

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[1] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché

[2] de BODINAT Henri, 2007 « Les mystères de l’offre » Village mondial

[3] Le Groupe de recherche en arts médiatiques (GRAM) : Dictionnaire des Arts Médiatiques (1989) – Université de Montréal

[4] MITROPOULOU Eleni (2007) Thèse : Média, multimédia et interactivité : jeux de rôles et enjeux sémiotiques - Laboratoire de Sémio-Linguistique Didactique Informatique (LASELDI) - Université de Franche-Comté

[5] MITROPOULOU Eleni (2007) Thèse : Média, multimédia et interactivité : jeux de rôles et enjeux sémiotiques - Laboratoire de Sémio-Linguistique Didactique Informatique (LASELDI) - Université de Franche-Comté

[6] MAC LUHAN M. (1968) – « Pour comprendre les medias »

[7] FILION Michel (2005) sur « Marshall Macluhan», par Judith Fitzgerald - Département de travail social et des sciences sociales - Université du Québec en Outaouais

[8] LEVY Pierre (1994) « L'intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace ». La Découverte, Paris.

[9] LEVY Pierre (1990) « Les technologies de l'intelligence ». La Découverte, Paris.

[10] LEVY Pierre (1994) « L'intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace ». La Découverte, Paris.

[11] MILLERAND Florence (1998) Thèse : « Usages des NTIC : les approches de la diffusion, de l'innovation et de l'appropriation »- Université de Montréal

[12] EVENO Patrick, SONNAC Nathalie (2006) « Les médias, une histoire d’argent ? » Le temps des Media-CAIRN

[13] MEUNIER Jean-Pierre, Daniel Peraya (2004) « Introduction aux théories de la communication » - de Boeck Université

[14] PIAGET Jean (1970) « Psychologie et épistémologie », Paris, Denoël.

[15] PIAGET Jean (1940) Citation

[16] MEUNIER Jean-Pierre, PERAYA Daniel (1999) « Vers une sémiotique cognitive »

[17] VYGOTSKY L., cité par J.V Wertshc –« La médiation sémiotique de la vie mentale » - in J-P Bronckart, V. John-Steiner, C.P Panofsky, B. Schneuwly, Vigotsky aujourd’hui, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1985

[18] CHAMBAT, Pierre. 1994. « Usages des technologies de l'information et de la communication ». Technologies et Société

[19] JOUËT, Josiane. 1993. « Pratiques de communication et figures de la médiation », Réseaux.

[20] MALLEIN, Philippe, TOUSSAINT, Yves. 1994. « L'intégration sociale des TIC : une sociologie des usages », Technologie de l'information et société,

[21] CHAMBAT, Pierre. 1994. « Usages des technologies de l'information et de la communication ». Technologies et Société

[22] ROGERS Everett. 1962. « The Diffusion of innovations »

[23] FLICHY Patrice. 1995. « L'innovation technique. Récents développements en sciences sociales vers une nouvelle théorie de 'innovation ». Paris: La Découverte,

[24] VIGNAUX Georges. 2003. - Du signe au virtuel - Les nouveaux chemins de l'intelligence, Seuil

[25] ARCEP : Publication : Le marché des services de télécommunications en France au 2ème trimestre 2008

[26] Source : Médiametrie - Media In Life - 2008

[27] Paule Gonzales dans Le Figaro le 20/08/2008 « Les Français regardent moins la télévision ». Source : Médiamétrie

[28] Interview d J-C Grout sur le site d’IPSOS : http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/2455.asp

[29] Lecture en continu

[30] Podcast : moyen gratuit de diffusion de fichiers audio ou vidéo de façon délinéarisée

[31] MUZET Denis, 2006, « La mal info. Enquête sur des consommateurs de médias »

[32] Source : Media in Life, Médiamétrie 2006 : (source Médiamétrie)http://medialinks.unblog.fr/tag/etudes-media/media-in-life/

[33] Source : Media in Life, Médiamétrie 2006 : (source Médiamétrie)http://medialinks.unblog.fr/tag/etudes-media/media-in-life/

[34] MUZET Denis, 2006, « La mal info. Enquête sur des consommateurs de médias »

[35] Interview d J-C Grout sur le site d’IPSOS : http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/2455.asp

[36] BARBE Lionel. « Les médias participatifs : des modèles éditoriaux émergents sur Internet » CNRS – Laboratoire Communication et Politique, France

[37] KATZ Elihu et LAZARSFELD Paul, 1955 “Personal Influence: The Part Played by People in the Flow

of Mass Communications », Glencoe, The Free Press,

[38] DEBRAY Régis, 1991 « Cours de médiologie générale », Gallimard

[39] MAC LUHAN M. 1968 - Pour comprendre les medias

[40] BOURDIEU Pierre. 1996. « Sur la télévision »

[41] MUZET Denis, 2006, « La mal info. Enquête sur des consommateurs de médias »

[42] MUZET Denis, 2006, « La mal info. Enquête sur des consommateurs de médias »

[43] Concept de Roger Odin : la fonctionnalité en tant que système de signification repose sur des connaissances du spectateur.

[44] Meunier Jean-Pierre, Daniel Peraya (1999)Vers une sémiotique cognitive

[45] ESPOSITO Robert. 2001 « Communitas, origine et destin de la communauté ». puf, collège international de philosophie

[46] MARX Karl, 1867 « Das Kapital »

[47] METCALFE Robert, - Citation -

[48] REED David, 2001 « The Law of the Pack » (Harvard Business Review)

[49] PRAX, Jean-Yves 2003 « Le management territorial à l'ère des réseaux »

[50] MASLOW A., 1989 Vers une psychologie de l'être, Fayard, Paris.

[51] FaceBook : Site Web de réseau social destiné à rassembler des personnes proches ou inconnues

[52] Marketeurs : Personnes en charge dans une entreprise de la meilleure façon de vendre au consommateur

[53] TeckTonik : désigne une danse fondée sur des mouvements atypiques. Véritable mouvement populaire depuis 2006

[54] Adulescence : Selon le psychanalyste Tony Anatrella, l’adulescence est le prolongement de l’adolescence en dépit de l’entrée dans l’âge adulte

[55] No-Childs : terme marketing qui désigne les personnes sans enfants

[56] SENGES Anne, 2003 - « Ethnik ! Le Marketing de la différence » Autrement.

[57] Coming-out : désigne principalement l'annonce volontaire d'une orientation identitaire

[58] SENGES Anne, 2003 - « Ethnik ! Le Marketing de la différence » Autrement.

[59] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché

[60] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché

[61] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché

[62] Cuivre : Matière utilisée pour transporter les flux

[63] GOODY Jack, 1979 - « La raison graphique », Minuit.

[64] Exalight est un jeu vidéo de courses de véhicules édité par Neuf, et qui se joue en réseau sur ordinateur.

[65] Box : servant d'équipement de terminaison de réseau, qu'un fournisseur d'accès à Internet fournit à ses abonnés au haut débit pour bénéficier du triple play,

[66] Frame : colonne

[67]

ROGERS

Everett

. 1962. « The Diffusion of innovations »

[68] Chiffres internes extraits d’une étude sur l’utilisation des services audiovisuels de NeufTV

[69] Netgem : société technologique spécialisée dans l’équipement de télévision IP,

[70] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ». - Broché

[71] Amazon : entreprise de commerce électronique mondiale d’origine américaine..

[72] Ebay: site Web de ventes aux enchères créé en 1995 et compte aujourd'hui plus de 275 millions de membres inscrits

[73] YouTube : site web d’hébergement de vidéos sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, visualiser et partager des vidéos

[74] Barker: bande-annonce promotionnelle.

[75] Pop-up : fenêtre surgissante qui s'affiche sans avoir été sollicitée par l'utilisateur

[76] EPG: détaille les programmes présents et à venir en aplat sur la diffusion d’une chaîne TV

[77] VideoClub: boutique de services permettant la location sur support vidéo afin de les visionner à son domicile, avant de les rapporter.

[78] AlloCiné.fr : société fournissant des services et des informations cinématographiques en ligne.

[79] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché

[80] ADSL: technique de communication qui permet d'utiliser une ligne téléphonique d'abonné pour transmettre et recevoir des signaux numériques à des débits élevés, de manière indépendante du service téléphonique.

[81] TPS: opérateur de bouquet numérique de télédiffusion satellitaire français et éditeur de chaînes de télévision thématiques. En avril 2007, TPS disparaît au profit de CanalSatellite.

[82] Chaîne premium : de qualité supérieure

[83] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ». Broché

[84] Guide des chaînes numériques. Mars 2008

[85] Vivolta : chaîne dédiée aux plus de 45 ans. Créée par Philippe Gildas

[86] Chiffres internes extraits d’une étude sur l’utilisation des services audiovisuels de NeufTV

[87] Guide des chaînes numériques 2008 –Direction du Développement des Media

[88] ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ». Broché

[89] SENGES Anne, 2003 - « Ethnik ! Le Marketing de la différence » Autrement.

[90] Chiffres estimés par le distributeur.

[91] Packs: agrégation de chaînes par thématique ou par cible visée.

[92] ANDERSEN Chris, 2007 – « The long tail, why the future of business is selling less - Broché

[93] de BODINAT Henri, 2007 « Les mystères de l’offre » Village mondial

[94] MISSIKA Jean-Louis, 2006 « La Fin de la Télévision » La République des Idées

[95] Les parts de marché atteignent leur plus mauvais score depuis la création du programme en 2001 – Source : Ozap.net

[96] de BODINAT Henri, 2007 « Les mystères de l’offre » Village mondial

[97] Media Center : Outil et logiciel fournissant certains des services suivants : lecture de fichiers multimédias (image, son, vidéo), diffusion de ces fichiers

[98] Guide des chaînes numériques. Mars 2008

[99] CREA+ : Site Internet du Groupe CanalPlus hébergeant, recensant et classant des contenus video amateurs.

[100] Le Conseil de la concurrence sanctionne à hauteur de 534 millions d'euros les sociétés Orange France, SFR et Bouygues Télécom pour échanges d’informations stratégiques et l’existence d’accord sur la stabilisation de leurs parts de marché.

[101] de BODINAT Henri, 2007 « Les mystères de l’offre » Village mondial

[102] BOURE Philippe (2004) « Régulations et dérégulations libérales des médias audiovisuels » ACRIMED

[103] Pure Players : désignerune entreprise dont l'activité est exclusivement menée sur l'Internet

[104] Stand Alone : Application qui se suffit à elle-même

[105] Pay TV : Contenu nécessitant un achat

[106] Canal+ à la demande (en attendant le pendant sur CanalSat), M6 Replay, Arte+7, Rewind TV de France Télévisions et prochainement TF1.

[107] Atawad : anytime, anywhere, any device ; « quand je veux, où je veux et sur n'importe quel écran »

[108] BOURE Philippe (2004) « Régulations et dérégulations libérales des médias audiovisuels » ACRIMED

[109] SVOD : Vidéo à la demande illimitée

[110] Sources : extraits d’une source interne sur les motivations de souscription

[111] Catch-up : télévision de rattrapage

[112] P2P : Système d’échange de fichier sur internet entre utilisateurs du monde entier. Une des causes de piratage.

[113] Bundle : Signifie littéralement paquet. Désigne souvent un lot d'articles destiné à la vente dans le cadre d'une offre.

[114] Télévision de rattrapage

[115] DININ Alexandre – 02/07/08 – Journal du Dimanche

[116] TF1 International détient un important catalogue de plus de 600 films et œuvres de télévision et est aussi le premier distributeur indépendant de films en salle avec sa filiale TFM dont elle détient 50% des parts

[117] Major : acteur majeur dans le secteur de l'industrie cinéma

[118] Interview réalisé par Les Echos – 16/10/08 - Antoine Pradayrol : analyste financier chez Exane-BNP Paribas

[119] Interview réalisé par Les Echos – 16/10/08

[120] DUMOUT Estelle – 20/09/07 - ZDNet

[121] GONZALES Paule -08/10/2008- Le Figaro

[122] Interview réalisé par Les Echos – 16/10/08

[123] Quadruple Play : voix Fixe, voix mobile, télévision, Internet

[124] GONZALES Paule -08/10/2008- Le Figaro

[125] Webisation : opération de migration d'une application informatique vers une solution de type web (utilisation des techniques de l'Internet).

[126] La Lettre de L’ARCEP – Septembre 2008

[127] Clé USB : dongle contenant une mémoire de masse utilisable sur tout type d’ordinateur.

[128] Best Seller : terme qui désigne à l’origine les meilleures ventes de livre, vulgarisé à tout type de contenu culturel.

[129] DELAHAYE Martine -29.06.08- « Les défis de la télévision de demain » Le Monde.

[130] DUCCINI - 1998 - « La télévision et ses mises en scène » Nathan Université

[131] Source : La Lettre de l’ARCEP : Septembre 2008

[132] MISSIKA Jean-Louis, 2006 « La Fin de la Télévision » La République des Idées

[133] SKY : agrégateur et éditeur de chaines au Royaume Uni.

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